C'est cette Électre-là que Cacoyannis a choisi pour son magnifique film de 1962 avec Irène Papas.
C'est aussi la tragédie la plus récente après l'Orestie d'Eschyle et l'Électre de Sophocle.
La construction est légèrement différente puisqu'Euripide a choisi d'aménager différemment le mythe. Ici, le couple Clytemnestre et Égisthe ont décidé de se débarrasser d'Électre en la mariant avec un paysan (pauvre) mycénien, ce qui constitue une infamie dégradante dans l'esprit grec de l'époque. Ainsi, contrairement à Eschyle et Sophocle, l'action ne se passe pas devant le palais de Mycènes ou d'Argos mais devant la masure du laboureur.
Euripide fait prendre une autre dimension au mythe puisqu'il y fait intervenir le peuple. Ce peuple est d'ailleurs implicitement solidaire des enfants légitimes d'Agamemnon, Électre et Oreste, et expriment (par la voix du laboureur) un intense mépris pour le nouveau roi Égisthe.
"Les Argiens parlant de vous disaient toujours "l'époux de Clytemnestre" et non "la femme d'Égisthe"
Le comportement d'Oreste et d'Électre y est aussi assez différent.
Chez Eschyle, Électre est l'alliée d'Oreste venu faire justice suivant l'oracle de Delphes. Chez Sophocle, Électre exige la justice dans le sang, se lamente à la mort annoncée d'Oreste qui la prive de vengeance et l'exhorte passionnément lorsqu'elle le "reconnait". Chez Euripide, Électre exhorte Oreste mais autant celui-ci est convaincu du devoir de tuer Égisthe, autant il exprime des scrupules profonds à tuer sa mère et a conscience du crime qu'Apollon (Delphes) lui fait faire.
Du coup, il y a une différence fondamentale entre l'Orestie et la tragédie d'Euripide. Alors que dans l'Orestie, les dieux (par la voix d'Athena) vont contribuer à bâtir un système judiciaire pour juger les crimes des mortels indépendamment des querelles des dieux, chez Euripide, ce seront les dieux (par la voix de Castor en deus ex machina) qui jugent les actes des hommes de façon à les apaiser. En l'occurrence, ce sera Apollon qui va porter le chapeau du matricide.
Ainsi le voulait l'arrêt du destin
Et l'oracle imprudent prononcé par Phoibos
Pour moi, sur ce sujet précis, bien que plus ancienne d'un demi-siècle, l'Orestie d'Eschyle (dans les Euménides) conserve une plus grande puissance et une plus grande portée que l'Électre d'Euripide.
Toujours, sur ce terrain, la tragédie de Sophocle est un peu hors course car n'aborde pas les conséquences judiciaires du matricide et de l'assassinat d'Égisthe.
Cependant, pour autant, la tragédie d'Euripide ne manque pas d'intérêts non plus.
Il y a des scènes très belles comme celle avec le vieux précepteur qui reconnait Oreste à une cicatrice et l'émotion de la reconnaissance d'Électre devant son frère est importante (les yeux gonflés de larmes d'une Irène Papas mutique dans le film …). Je suis toujours impressionné que d'aussi vieux textes soient capables de toucher un lecteur plus de 2500 ans après … Cela vient probablement en grande partie du fait que le langage employé est très simple et le vocabulaire plutôt ordinaire.
Il y a aussi dans la tragédie d'Euripide, comme chez Sophocle, la grande scène d'explication entre Clytemnestre et Électre. Alors que chez Sophocle elle est au départ de la tragédie comme un postulat ou un fait, chez Euripide, la scène est juste avant l'exécution comme un jugement. Il en est de même du discours d'Électre sur la dépouille d'Égisthe qui sonne comme un violent réquisitoire post-mortem où la haine refoulée pendant des années s'exhale enfin …
Même si je préfère l'Orestie d'Eschyle pour les raisons déjà mentionnées, j'apprécie beaucoup la tragédie d'Euripide que je mets au même niveau que celle de Sophocle.