« Cette curiosité dépravée pour tout ce qui touche à la vie privée des gens célèbres »
« N'excitons point ce goût des scandales littéraires qui a remplacé le goût de la littérature » (journal le Siècle en 1859)
Eh bien si, excitons-nous avec une curiosité malsaine sur cette relation George-Sand - Alfred de Musset.
Ce devait être le plus incommode des amants : une âme ardente, coeur inconstant, plein de caprices, de bizarreries, intelligence à éclairs, créant dans l'orage ; caractère ombrageux, susceptible, tendre quelquefois, plus souvent amer et ricaneur, cherchant l'amour et ne croyant pas aux femmes, désenchanté, dédaigneux parfois…
Aucune femme ne pouvait lui convenir, tout attachement se transformait tôt ou tard en une malédiction.
Il n'y avait que le détachement des courtisanes, femmes légères ou de peu d'esprits qui pouvaient apaiser sans risques les nerfs d'Alfred de Musset. Toutes liaisons sérieuses tentées postérieurement à l'épisode George Sand ont d'ailleurs été courtes.
Ce n'est pas tant la supériorité d'esprit de George Sand qui l'effrayait que cet attachement souvent maternel qui révoltait la bête sauvage et libre du poète débauché.
C'est cet attachement maternel et intrusif qui est la cause des crises répétées. En bonne logique de coeur et de raison, George Sand aurait dû laisser aller au vent cet être insaisissable après la première crise.
Pourquoi insiste-elle donc tant, crise après crise, lesquelles se ressemblent toutes ?
C'était son Victor Hugo à elle - et voir ce divin talent noyé dans la débauche, l'alcool, l'abêtissement, sous ses propres yeux, cela lui donnait envie de se dire « Ah quel gâchis ! Si seulement il pouvait arrêter la débauche, calmer ses nerfs… Je ne peux pas l'abandonner dans cet état ! »
C'est aussi les opposés qui s'attirent : le feu imprévisible et égoïste et cette glace de sagesse et de bonté.
Les eaux fraiches apaisaient le feu en surface du poète enflammé et inversement ce bloc de glace aimait réveiller son propre feu intérieur.
C'est un échec, rien n'a pu tempérer ce feu. Peut-être peut-on lui reprocher un trop grande délicatesse : quitte à vouloir l'aider, s'ingérer et violer son indépendance, il ne faut pas y aller par quatre chemins.
George Sand au contraire, pérore, se fait prier, le culpabilise, et ne le sauve qu'après l'avoir laissé crier longtemps pour le sermonner longuement bien après. Elle souffle sur les braises sans le vouloir quand il aurait fallu jeter un sceau d'eau d'un seul coup - mais c'est facile à dire me direz-vous.
Il y a donc dans cet amour complexe une moitié d'admiration sincère pour son génie et son feu et une autre moitié de faux amour maternel maladroitement protecteur. Elle l'aime par conséquent qu'à moitié et avec moins d'intensité qu'Alfred de Musset.
C'est d'une lourde tristesse que ce va-et-vient où chaque aller-retour accentue des blessures déjà profondes. On pressent assez vite la fatalité de leur liaison et les éclairs d'espoirs ne sont que le calme avant une tempête de plus en plus violente.
Que dire maintenant de ces personnages fictifs déguisant les deux écrivains ? Je ne dirais pas que ce roman est exclusivement à charge contre le poète perverti. Elle aussi est lucide et se reconnait certaines faiblesses.
Ce qui m'amuse sans m'étonner, c'est qu'au lieu de tromper le poète à Florence, lors de leur voyage en Italie par hasard en tombant sous les charmes de son médecin, elle invente une liaison avec un ami d'enfance présentant de belles qualités et un coeur solide. Elle se ménage un peu les circonstances les plus favorables dans son roman…
Elle le présente aussi souvent, dans ses crises de tendresse affectueuse, par cette façon ridicule dont il se jette à ses pieds en la suppliant à chaudes larmes quand elle reste de marbre avec une sainte compassion, tout juste lui caresse-elle les cheveux comme à un enfant et le rassure. Cela semble un peu trop disproportionné pour sonner tout à fait vrai.
Ce roman aurait pu être habilement condensé sans rien perdre de sa substance. George Sand répète un peu les choses car on est plongé dans son intimidé la plus profonde et que les pensées de souffrance sont souvent répétitives. Rien de bien traumatisant pour le lecteur non plus, à mon avis, les deux écrivains ont aimé inconsciemment leur expérience tumultueuse, cela n'a pu que renforcer leur caractère et leur talent respectif.