Voilà enfin, presque cinq ans après Nid de coucou, le nouveau roman de David Calvo, l'auteur le plus extravagant de l'imaginaire francophone. Evacuons tout de suite le résumé : vous pouvez lire la quatrième de couverture ci-dessus, vous n'apprendrez pas grand-chose sur le livre, tout simplement parce qu'Elliot du Néant n'est pas facile à synthétiser.

Mais essayons quand même de lancer quelques pistes. Mêlons, dans un grand écart culturel, « le sonnet en –yx » de Stéphane Mallarmé et son « aboli bibelot d'inanité sonore » à la pop anglaise de Nik Kershaw avec son tube The riddle (aux propos tellement abscons que sa maison de disque organisa un concours pour en trouver le sens et dont le clip lewiscarrollien résonne curieusement avec Eliott du Néant). Ajoutons un couple de tortues parlantes, un morse tenancier d'un restaurant au bout du monde préparant le repas de 200 macareux. Situons l'action dans une école islandaise et suivons un narrateur plutôt étrange, Bracken, professeur de dessin français ayant exercé dans cette école.
Si vous avez déjà lu du Calvo, vous ne serez pas étonné d'un tel mélange. Bracken, sur la piste d'Elliot, entre dans le monde du néant comme Alice passe de l'autre côté du miroir. Ce qui commence comme la simple recherche d'une personne disparue devient vite une plongée dans l'étrangeté. Le sense of wonder tout personnel de David Calvo part à l'assaut de l'esprit du lecteur qui n'a plus qu'à se noyer dans cette poésie de tous les instants, à se laisser happer par ce monde merveilleux. Avec une histoire profondément différente, l'auteur crée les mêmes sensations que dans son deuxième roman, Wonderful : une impression de basculer irrémédiablement dans une folie poétique.

Alors, évidemment, il faut accepter de lâcher prise pendant la lecture, de ne pas chercher un récit cartésien, et les lecteurs découvrant Calvo seront peut-être un peu désarçonnés. Mais, dès que l'on rentre dans le jeu, que l'on suit ses règles de narration, on éprouve un plaisir unique avec la prose de l'écrivain. Et quand émerge insidieusement une tension palpable à l'approche du dénouement, lorsque l'auteur fait basculer sans qu'on s'en aperçoive son récit dans l'effroi, on se retrouve stupéfait devant la puissance de cette fin, et l'évidence apparaît : avec Elliot du Néant David Calvo a produit son meilleur livre.

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le 30 mars 2012

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rmd

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