J'ai découvert Ahmadou Kourouma il y a de nombreuses années quand j'ai lu son ouvrage "En attendant le vote des bêtes sauvages" (dont j'ai racheté un exemplaire il y a peu pour le plaisir de me réapproprier cet ouvrage et de le relire dans une autre vie ou pas).
Dans cet ouvrage, l'auteur a décidé de décrire la farce tragique que constituent les dictatures africaines sous les auspices de l'Etat français (terme que j'emploie à raison). En effet, ces dictatures viennent du colonisateur qui les a fait mûrir. Ces dictatures africaines ont connu leur âge d'or durant la Guerre froide; à une époque où l'ancien colonisateur ferme les yeux sur les plus atroces crimes au nom du profit et intervient dès qu'une menace prétendument communiste apparaît.
Ahmadou Kourouma montre l'importance de la magie dans l'exercice du pouvoir. Un dictateur qu'il présente a déjà échappé à plusieurs complots. Quand il fait assassiner un opposant, il l'émascule avant de de lui mettre le sexe dans sa bouche. Un autre dictateur au totem de caïman emprisonne tout le monde d'une même famille à la suite des propose de son marabout. En effet, il faut emprisonner non un seul mais tout un clan pour avoir la paix. La magie sert à éliminer la concurrence. Il faut que le dictateur montre qu'il possède plus de magie que les autres, qu'il soit plus fort que ses sujets.
Chaque dictateur a un animal totem: caïman, hyène... Pour Kourouma, chaque africain a un totem. Ainsi on peut le désigner par son nom ou son totem. Il y a un des dictateurs qui demeure dans un Etat situé plutôt dans le Maghreb. Il y en a un autre qui fait construire une immense cathédrale dans son village natal. Il y en a un troisième qui se promène toujours avec une canne et une toque léopard... Aussi, on reconnaît aisément les modèles existants à l'époque de la rédaction de cet ouvrage
- Homme au totem caïman : aussi appelé Tiékoroni ou le bélier de Fasso, dirigeant de la République des Ébènes (Côte d’Ivoire dont est originaire Kourouma), son personnage fait référence à Félix Houphouët-Boigny.
- Homme au totem hyène : aussi appelé Bossouma, dirigeant de la République des Deux Fleuves (Centrafrique), son personnage fait référence à Jean Bédel Bokassa.
- Homme au totem léopard : dirigeant de République du Grand Fleuve (Zaïre), il fait référence à Mobutu Sese Seko.
- Homme en blanc au totem lièvre : aussi appelé Nkoutigui Fondio, dirigeant de la République des Monts (Guinée), son personnage fait référence à Ahmed Sékou Touré.
- Homme au totem chacal : dirigeant du Pays des Djebels et du Sable (Maroc), son personnage fait référence à Hassan II.
Quant à l'homme au totem faucon, Koyaga, le récit est centré sur lui. Ancien militaire dans le corps des tirailleurs sénégalais, il prend le pouvoir par la force. , son personnage fait référence à Gnassingbé Eyadema, président du Togo
Kourouma utilise des images et des métaphores pour parler de politique. Sa langue emprunte à l'oralité et à la culture Malinké. On sent que le français est pour lui une sorte de crève coeur. Il est obligé de s'exprimer dans la langue du colonisateur pour se faire comprendre . Sa satire est malheureusement d'actualité dans un monde où humanité et bestialité ne font qu'un. Les dictateurs qu'ils soient élus "démocratiquement" ou non se repaissent des cadavres des humbles qu'ils dirigent et se retrouvent le soir du monde venu se vantant de leurs exploits .
Toutefois, le sora dit à la fin à la fin que l'Afrique est est dans la nuit: "La nuit dure longtemps mais le jour finit par arriver". C'est donc par une parole d'espoir qu'Ahmadou Kourouma conclut son ouvrage. Pour cet auteur, la parole est tout.