Un premier roman âpre mais trés mûr.
Ecrire à vingt et un ans sur l'homophobie et la rupture familiale n'est pas un exercice évident. Edouard Louis parvient à mener cette double exigence dans un premier roman sans concessions à travers sa propre expérience autobiographique. Ce que je retiens, c'est que le jeune auteur ne stylise pas son parcours car il est trés conscient que d'autres individus sont passés par les mêmes épreuves que lui. Le cadre planté, je me suis dit qu'Eddy Bellegueule pourrait être un personnage réaliste des films des frères Dardenne, car il évolue dans un contexte familial difficile où la télévision,l'alcool et les bassesses quotidiennes sont souverains. Or, l'écriture brute et urgente d'Edouard Louis est toujours là pour nous intimer que ces condensés d'insatisfaction, de malheur ou d'humiliations sont bien réels.
Là où la précision du chemin de croix d'Eddy ne nous laisse pas de marbre, il y a aussi l'autre apport du livre honnête mais maladroit, qui consiste à faire une sociologie de la misère sociale et intellectuelle de la campagne picarde, en ce début de XXI ème siècle. C'est ici que la généralisation sur les us et coutumes d'un territoire et de ses habitants gêne un minimum le lecteur. En mettant de côté un certain naturalisme à la Zola,Edouard Louis n'aurait pas fait perdre à son roman une once de son intensité. Cet état de fait reflète une légère maladresse de première oeuvre que je pardonne bien volontiers au jeune auteur.
Revenons maintenant sur ce qui fait la beauté de ce livre nécessaire à savoir la force de caractère d'Eddy face à un univers social hostile et bestial. Comme une feuille ballotée par des bourrasques incessantes, l'enfant, puis le jeune homme a appris à survivre, à prendre des postures de défenses pour se cacher ou passer inaperçu. Là, il décrit ses expériences avec une grande lucidité tout en faisant une auto-critique sur certains de ses choix au moment où il voulait cacher son homosexualité, son intelligence plus que moyenne. Avec philosophie et "aquabonisme", Edouard Louis statue aussi d'emblée qu'il ne peut que coexister avec sa propre famille ou ses propres camarades de classe et qu'il à appris à se contenter du peu de rapports satisfaisants qu'il entretient avec eux. Puis viendra, la rupture psychologique définitive que je vous laisse découvrir car ce dernier mouvement du livre recelle de scènes réalistes trés savoureuses et émouvantes.
En finir avec Eddy Bellegueule est donc un livre qui secoue, qui dérange mais l'intérêt de la littérature n'est il pas de nous faire sortir de notre propre torpeur? Si vous avez le même genre d'optique face à l'impact d'un roman, vous pouvez appréhender le livre d'Edouard Louis en connaissance de cause.