"La campagne n'a de charme que pour ceux qui ne sont pas obligés d'y habiter." (Manet)
Jacques Marles le découvre par lui-même, cette campagne ce n'est pas celle des Romantiques ni même celle des Réalistes. Huysmans par la voix de son narrateur démonte un par un, en bonne et due forme, tous les clichés rustiques de l'époque. Le château champêtre où viennent se réfugier le couple ne sera pas comme le voudrait l'imagerie d'Epinal une tendre villégiature au parfum d'Arcadie moderne pour se ressourcer à l'air frais en compagnie des gens simples mais généreux d'un humble village français de la Brie. Bien au contraire, ils se retrouveront reclus par un naufrage à la fois de la bourse et de l'âme, encalminés dans un port boueux où le ciel est aussi bas et lourd qu'à la Capitale et l'ennui baudelairien tout aussi présent ; piégés dans une épave délabrée par un couple de vautours loquedus qu'on imaginerait sans peine tout droit sortis du Portement de Croix de Jérôme Bosch et dont l'hospitalité n'est intéressée que par la (stupide) illusion d'un pécule facile. Des péquenauds, cambroussards radins aussi mauvais que les normands de Maupassant !
Ici, aucun lyrisme de la campagne, aucune mystique de la Nature ni poétique des ruines mais un sinistre délabrement qui, dans un renvoi tout symboliste, fait donc écho à celui de l'esprit de Jacques, au corps de son épouse et aux fondations de leur couple. La moisson n'est pas l'or des blés de Millet fauchés par les paysans de Dalou aux allures de héros antiques mais un travail ingrat et les aoûtats qui creusent sous la peau, le manoir n'est pas la ruine romantique découpée dans le clair de lune où volent des spectres en armures rutilantes mais l'odeur du bois pourri, du papier moisi et des crottes de rat, etc.
Cette ankylose fangeuse au ton zolaien teinté de l'habituelle causticité de Huysmans est fort heureusement, tant pour le héros que pour le lecteur, diaprée de rêves (ou cauchemars ?) – au demeurant bien trop peu nombreux – véritables bulles oniriques dont le style s'inscrit dans la pure lignée des divagations effervescentes de Des Esseintes dans A Rebours. Au menu de l'inconscient de Marles ? Palais d'Assuérus au vignoble de pierreries, parfums funéraires aux arômes de morts, trek sur la surface de la Lune, Saint-Sulpice en cité infernale et autres bizarreries. Ces fantaisies ne sont toutefois pas des tableaux cocasses ou épiques coupés de la réalité mais sont inextricablement liées au tissu du réel et à l'état psychique de son rêveur, tendant vers le Symbolisme mais aussi déjà vers un certain Surréalisme. Il y aurait de quoi analyser et le héros lui-même tentera de le faire.
On retrouve la propension de Huysmans à utiliser un vocabulaire rare, inusité, semant ici et là quelques mots inventés ; de manière générale il use toujours du terme technique donnant ainsi un style foisonnant, imagé, riche et coloré ; scandé comme une obscure litanie....presque étourdissante.
Si les titres successifs des romans de Huysmans esquissent une géographie de son périple spirituel, sorte de carte du misandre ponctuée de retraites ; A rebours était une confortable et volontaire récession de dandy anachorète et En Rade serait une pause douloureuse, imposée mais nécessaire, avant de pouvoir se remettre en marche vers Là-Bas, pointant l'abri apaisé d'un monastère.