J'aime, j'adore, j'admire, que dis-je, je vénère John Steinbeck. Il représente pour moi ce que la littérature anglo-américaine a de meilleur, grâce à son style d'écriture qui se prête à une lecture fluide et vivante, sans ajout de mots intempestifs. En restant dans ses thèmes de prédilection (les classes populaires et ouvrières américaines de l'entre-deux-guerres), Steinbeck dresse au fil de ses livres un portrait sans concession d'une Amérique défigurée par de profonds bouleversements économiques et sociaux.
Avec Les Raisins de la colère, l'écrivain se mettait au plus près des familles touchées par la Grande Dépression, contraintes à l'exil avec l'espoir d'un futur qu'on leur présentait comme meilleur. Au fil de leur périple, les exilés croisaient tour à tour d'autres familles touchées par le même mal ainsi que certains syndicalistes qui profitaient de cette période de désolation pour fomenter des grèves contre les propriétaires de terres.
"En un combat douteux" se place ici du point de vue de ces syndicalistes communistes. Steinbeck donne ainsi vie à Jim, un jeune homme ayant récemment perdu son travail qui décide de se tourner vers les syndicats, comme son père avant lui. Il va être initié aux rouages du métier par Mac, un communiste aguerri qui va le prendre sous son aile. Commence alors pour Jim un véritable apprentissage de la vie, lui qui n'avait jamais vraiment trouvé sa place dans la société, et qui se découvre des talents d'orateur hors-pair qui font des merveilles auprès des ouvriers. Les deux protagonistes vont peu à peu user de paroles et d'actes pour faire naître une immense grève dans les vergers américains...
Ce qui fait avant tout la force centrale du roman de Steinbeck, c'est le fait que l'auteur ne prenne jamais parti(e) pour l'un ou pour l'autre. En effet, s'il montre assez bien la forte opposition entre la classe ouvrière, avec les syndicalistes en figure de proue, et les propriétaires "capitalistes", à aucun moment il n'est question d'une légitimité, d'une quelconque justification aux actes. Bien que l'auteur ait choisi de se placer du point de vue des grévistes, il n'en démontre pas moins les limites du système, en pointant avec justesse les faiblesses sans être vraiment critique.
Ce qui frappe avant tout dans cette oeuvre, c'est le fait que ces deux "camps" sont prêts à tout pour leur cause (arrêter, ou au contraire continuer la grève). Mac n'hésite par exemple pas à faire verser du sang pour mobiliser les troupes, tandis que les propriétaires, avec la police de leur côté, usent de perfides stratagèmes pour mettre fin au conflit et reprendre la récolte.
Le style de Steinbeck prend alors ici tout son sens: avec des phrases simples, courtes et percutantes, ainsi que des reconstitutions verbales de qualité, on est plongés au côté des grévistes.
"En un combat douteux" est un roman fort, qui véhicule une image fidèle de son propos, sans jamais tomber dans la démagogie ou le populisme. À lire.