John Steinbeck est mon auteur préféré : Des souris et des hommes m'a d'abord subjugué ; c'est en lisant A l'est d'Eden que j'ai sincèrement pu comprendre la portée et la puissance d'une œuvre d'art, notamment littéraire ; et Les raisins de la colère m'a ouvert les yeux sur les présupposés économiques du capitalisme. J'aime chez Steinbeck tout autant sa capacité à illustrer, décrire et donner vie, que sa puissance narrative qui sait autant s'exprimer en très peu de pages qu'en un volume qui ne trouvera son sens profond qu'à la dernière page, que sa sensibilité profonde et courageuse pour les classes miséreuses.
En un combat douteux porte de toute évidence cette sensibilité et est à mes yeux une œuvre qui prédispose aux Raisins de la colère. Néanmoins, et c'est ce qui m'a le plus dérangé en lisant ce livre, c'est l'absence narrative et illustrative, conjuguées à une volonté évidente de l'auteur de rester neutre qui rendent la lecture de ce livre si difficile. Il en ressort un ouvrage particulièrement froid, à l'image des deux personnages principaux.
On sait que Steinbeck partageait nombre de valeurs avec le communisme, mais cet ouvrage est tout autant un plaidoyer envers cette mouvance politique qu'une critique assez virulente. Au point de ne plus vraiment savoir ce qu'on lit ni ce qu'on doit penser. Et, à cet égard, heureusement que les dialogues entre Mac, Jim et Doc ponctuent l'histoire afin de trouver un peu de sens et de s'y accrocher.
Aux grés de ces dialogues, on comprend alors que Steinbeck ne se retrouve ni en Mac ni en Jim (les deux communistes), pour qui la fin (le communisme) justifie les moyens (le meurtre, la manipulation de la colère et de l'indignation, l'exhibition mortuaire), ni dans les grands propriétaires exploitant la misère humaine pour leurs profits, ni même dans les ouvriers agricoles se laissant mener docilement sans remettre en question la grande Amérique. Steinbeck se retrouve en Doc, et Doc est fasciné par la puissance de la collectivité, sa toute-puissance même : c'est un sympathisant à la cause qui veut étudier les besoins, les désirs et les mécanismes d'une foule pour en faire un raz-de-marée inarrêtable qui n'aura plus la nécessité d'utiliser la force pour parvenir à ses fins. Des fins qui seraient alors d'une nature toute aussi noble que les moyens qui seraient utilisés.
Mais ces dialogues - représentants finalement le cœur même de l'ouvrage, son sens le plus profond - ne sont alors que trop rares, presque trop anecdotiques. Et l'on aurait peut-être aimé en lire plus à ce sujet, et moins au sujet de Jim et Mac qui, de par leurs froids calculs et leurs manipulations presque inhumaines ne retiennent ni la sympathie ni l'adhésion. Et ça, c'est exactement ce que l'on retrouve dans les Raisins de la colère.