Fastidieux
Tuer le père La parole du père est omniprésente, et empiète sur celle du narrateur, en tout cas au début, jusqu’à ce que le rapport de force change. D’ailleurs, à ce sujet, le discours indirect libre...
le 26 sept. 2021
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"Ton père portait l'uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud ! " C'est ainsi que son grand-père avait assené au narrateur, alors âgé de dix ans, son exaspération d'entendre, une fois de plus, les soi-disant exploits de Résistant de l'intéressé. Jamais depuis, "l'enfant de salaud", devenu journaliste, n'avait osé aborder le sujet de ce passé avec son père, imprévisible et violent. Ce n'est qu'en 1987, lorsqu'il parvient à exhumer des archives le dossier judiciaire paternel, qu'il découvre l'improbable parcours d'un homme menteur et manipulateur, qui ne cessa de changer de camp tout au long de la seconde guerre mondiale. Pendant que le fils interpelle enfin son père sur ses inavouables secrets, il se retrouve aussi dans les rangs de la presse qui couvre le procès criminel de Klaus Barbie.
Sans rien changer aux faits, Sorj Chalandon a choisi d’antidater sa découverte des actes de son père – en réalité posthume -, pour la faire coïncider avec la période du procès de Klaus Barbie. Ce sont ainsi deux procès qui entrent en résonance dans ce roman, l’un bien réel, l’autre convoqué dans l’imaginaire de l’auteur. Barbie avait refusé de paraître aux audiences, le père de répondre de ses mensonges à son fils. Dans un cas comme dans l’autre, les coupables sont restés jusqu’au bout dans le déni, rendant encore plus insupportables la souffrance et le questionnement des plaignants. Alors, pour l’auteur, torturé sa vie durant, non seulement par la conscience des crimes, mais aussi par le déni et les mensonges de son père, ce livre est en quelque sorte un procès personnel posthume, la confrontation à laquelle il n’aura jamais pu convoquer cet homme insaisissable.
Sorj Chalandon connaît parfaitement le cas et le procès Klaus Barbie, ses reportages sur le sujet lui ayant même valu à l’époque le prix Albert Londres. Sa narration est précise et significative. Le lecteur revient avec émotion sur les lieux des crimes du Bourreau de Lyon, notamment sur celui de la rafle des 44 enfants juifs d’Izieu. Il se retrouve immergé dans la salle d’audience, sous le choc des faits et de l’indifférence méprisante du criminel nazi. Face à l’évidence d’une telle monstruosité, l’écrivain imagine les réactions de son père. Cet homme dont le parcours reste une énigme, tant il démontre de grotesque inconséquence dans ses multiples et opportunistes revirements, serait-il resté de marbre lui aussi, la conscience imperméable et le mensonge plus fanfaron que jamais ? Lucide, l’écrivain dresse le portrait d’un père barricadé dans sa réalité distordue, incapable de se voir dans sa vérité nue, sous peine de basculer dans une folie définitive. Et si, dans la vie réelle, ce père lui a toujours échappé, il sait sans illusion que, même si elle avait pu avoir lieu, aucune confrontation frontale, fusse-t-elle même celle d’un procès, n’y aurait rien changé.
Sorj Chalandon signe un livre sincère et bouleversant : une tentative, comme il le dit lui-même, de « changer ses larmes en encre ». Coup de coeur.
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Créée
le 25 juin 2022
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