Art poétique
Ah Céline, alors que je n'arrive pas à mettre la main sur Mort à Crédit qui doit traîner dans un carton chez moi, je trouve Entretiens avec le Professeur Y. Court. Je m'y lance. On a un bouquin très...
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le 17 août 2014
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Céline est certes l'auteur de romans denses, empruntant à la chronique et au genre du roman picaresque, comme Voyage au bout de la nuit ou Mort à crédit. Qu'il parle de la guerre, de l'enfance ou plus tard avec sa trilogie allemande (D'un Château l'autre...) d'une Europe plongée dans le chaos, Céline reste un écrivain massif. Ces récits ne sont jamais courts et demandent une attention soutenue du fait d'une écriture qui se complexifie au fil des écrits.
Seulement, Céline a également rédigé un court essai sous la forme d'un dialogue entre son double de papier et un interviewer (le professeur Y) : Entretiens avec le professeur Y. Un peu plus de cent pages pour un enchaînement de digressions truculentes au sein d'un seul entretien. On passe d'un sujet à l'autre avec la fougue de Céline, parfois excessif, pessimiste mais touchant souvent juste derrière des airs de carnavals littéraires. Céline critique le public, son mauvais goût tout en se moquant, en pastichant, le style de l'interview littéraire
L'extrait qui suit évoque tour à tour la crise de l'industrie du livre (déjà à l'époque) et la figure (ou le cliché) de l'écrivain qui enfante dans la douleur. Drôle et forcément singulier, du Céline en verve.
La vérité, là, tout simplement, la librairie souffre d’une très grave crise de mévente. Allez pas croire un seul zéro de tous ces prétendus tirages à 100000 ! 40000 ! … et même 400 exemplaires ! … attrape-gogos ! … Alas ! … Alas ! … seule la « presse du cœur »… et encore ! … se défend pas trop mal… et un peu la « série noire »… et la « blème »… En vérité, on ne vend plus rien… c’est grave ! … le cinéma, la télévision, les articles de ménage, le scooter, l’auto à 2, 4, 6 chevaux, font un tort énorme au livre… tout « vente au tempérament », vous pensez ! et les « week-ends » ! … et ces bonnes vacances bi ! trimensuelles ! … et les Croisières Lololulu ! … salut, petits budgets ! … voyez dettes ! … plus un fifrelin disponible ! … alors n’est-ce pas, acheter un livre ! … une roulotte ? encore ! … mais un livre ? … l’objet empruntable entre tous ! … un livre est lu, c’est entendu, par au moins vingt… vingt-cinq lecteurs… ah, si le pain ou le jambon, mettons, pouvaient aussi bien régaler, une seule tranche ! vingt… vingt-cinq consommateurs ! quelle aubaine ! … le miracle de la multiplication des pains vous laisse rêveur, mais le miracle de la multiplication des livres, et par conséquent de la gratuité du travail d’écrivain est un fait bien acquis. Ce miracle a lieu, le plus tranquillement du monde, à la foire d’empoigne, ou avec quelques façons, par les cabinets de lecture, etc…, etc… Dans tous les cas l’auteur fait tintin. C’est le principal ! Il est supposé, lui, l’auteur jouir d’un solide fortune personnelle, ou d’une rente d’un très grand parti, ou d’avoir découvert (plus fort que la fusion de l’atome) le secret de vivre sans bouffer. D’ailleurs toute personne de condition (privilégiée, gavée de dividendes) vous affirmera comme une vérité sur laquelle il n’y a pas à revenir, et sans y mettre aucune malice : « que seule la misère libère le génie… qu’il convient que l’artiste souffre ! … et pas qu’un peu ! … et tant et plus ! … puisqu’il n’enfante que dans la douleur ! … et que la Douleur est son maître ! … » (M. Socle) … au surplus, chacun sait que la prison ne fait aucun mal à l’artiste… au contraire !
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le 5 janv. 2016
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