Ce qui est bien, et bon, avec Jean Echenoz, c'est que l'auteur est dans le partage et la connivence car il a bien compris, le bougre, que comme pour Modiano, dans un autre registre, on ne lit pas un roman d'Echenoz par hasard. La plupart de ses lecteurs sont des fidèles qui savent qu'ironie, flegme et sens de l'absurde seront au rendez-vous dans une mécanique de précision qui semble rassembler les éléments les plus hétéroclites pour composer une fiction qui a sa propre cohérence, fantaisiste certes, mais ô combien grisante. Dans Envoyée spéciale, parodie irrésistible de roman d'espionnage, Echenoz emploie volontiers le "Nous" ou le "On" comme si l'oeuvre était collective et le lecteur complice des nombreux avatars et rebondissements que comporte son histoire débridée. Au-delà de Constance, son héroïne manipulée et consentante, l'auteur ne lésine pas sur les personnages secondaires, croqués avec amour, qui l'accompagnent de près ou de loin à ses aventures rocambolesques. Lesquelles nous entraînent tout d'abord en Creuse - délectables moments d'oisiveté - à la Corée du Nord que, bien entendu, le romancier n'a jamais visité. Echenoz maîtrise son intrigue avec la virtuosité qu'on lui connait mais c'est bien évidemment son style distancié qui fait jubiler avec un art des digressions dont on ne voit d'équivalence brillante que chez Fred Vargas. D'une constante invention avec un humour plus britannique que français, Envoyée spéciale se déguste comme un déjeuner raffiné, avec un mélange des saveurs qui laisse le palais enchanté.