Le christianisme face aux réalités de ce monde
Ephèse était une grande ville sur la côte égéenne de l'Asie Mineure. Paul aurait écrit cette épître lors de sa première captivité à Rome (61 à 63).
L'Epître aux Ephésiens est rédigée sur un ton moins passionné que les épîtres antérieures, et on voit peser sur elle le poids de la répétition pédagogique nécessaire, tendant à se cristalliser.
De nombreux éléments de cette épître vont peser sur les choix doctrinaux et les rites de l'Eglise chrétienne postérieure :
• « l'esprit de sagesse » évoqué va être personnifié par la suite en l'image d'une femme idéale, Sophia, dont la polyvalence sémantique (Isis ? Terre-Mère ? Vierge Marie ?) permettra une utilisation aussi bien métaphorique au premier degré, mais aussi une exploitation ésotérique plus développée dans les cercles gnostiques et alchimistes.
• l'image de la « Maison de Dieu » conforte la perspective d'une « Jérusalem céleste », appelée à de beaux développements théologiques et iconographiques ;
• l'appel à « toucher à l'homme parfait » a des résonances en psychologie des profondeurs. Si, théologiquement, il s'agit d'atteindre un niveau christique par la perfection morale de son comportement, psychologiquement, on voit se dessiner la perspective de réaliser une individuation jungienne, parfaite intégration, harmonieuse et équilibrée, de toutes les composantes de la personnalité, avec des rapports apaisés et constructifs entre le conscient et l'inconscient. Mais la dépréciation des passions par le Christianisme rend ce programme bien difficile à réaliser ! « Qui veut faire l'ange fait la bête », dira Pascal.
• l'image récurrente qui consiste à représenter chaque chrétien comme une part du corps du Christ nous renvoie au Purusha védique ; si cette métaphore est proposée dans un souci de donner cohérence et unité aux églises chrétiennes, elle réintègre l'individu dans la descendance d'Adam, l'homme primordial, en lui redonnant sa dignité grâce à la rédemption effectuée par le Christ.
• le texte de Paul sur l'intelligence n'est pas d'une cohérence irréprochable : tantôt il suggère qu'il faut agir avec intelligence et éviter la stupidité, tantôt l'intelligence est présentée comme un processus qui dessèche le cœur. Sur ce fondement se développera tout un pan du christianisme qui cherche à développer les forces du cœur, seules capables d'assurer la charité, par opposition au formalisme intellectuel des théoriciens.
• encore plus sensible à notre époque obsédée par la parité : la soumission de la femme à son mari, interprété au sens littéral dans la célébration des mariages chrétiens, mais aussi au sens métaphorique : la femme, c'est l'Eglise (donc, la communauté des chrétiens), qui doit être fidèle à Jésus. Le thème du Sponsus et de la Sponsa sera repris par les alchimistes.
• la rigidité du mariage chrétien (le couple est indissoluble, au point que les divorcés sont exclus de la communauté des fidèles) trouve son fondement dans la seule phrase : « L'homme quittera père et mère et s'attachera à sa femme, et ils seront une seule chair ». Si on lit bien cette phrase, il n'est pourtant nullement question de perpétuité...
• la soumission des enfants à leurs parents, et des esclaves à leur maître « selon la chair » peut sembler assez suspecte dans notre époque libertaire. Paul compense cette servitude par des récompenses post-mortem. Elle rejoint le conformisme social du confucianisme, et évite d'appeler à une révolution sociale. Ce sont là des racines essentielles du conservatisme chrétien, et de son inégalitarisme de fait en dépit de la proclamation de l'égalité de tous.
• enfin, le chevalier du Christ, depuis les propagateurs médiévaux du christianisme en pays barbare, jusqu'à Perceval et Saint Louis, trouve ses fondements dans ces appels à s'armer contre les entreprises du Diable, à s'équiper du bouclier de la Foi et du casque du Salut. Les Croisades sont en germe dans cette configuration belliqueuse.
La brièveté du texte n'en fait pas moins une référence fondamentale pour le christianisme.