En cette période, de "Grand Confinement", j'ai retrouvé sur mes étagères ce livre acheté d'occasion. je me suis dit que le moment était propice.
Il s'agit d'un recueil d'essais plus ou moins longs sur la mort. Ariès étant historien du sensible, des mentalités, il s'est penché sur la manière dont les hommes ont vécu la mort, l'ont pensé depuis le haut Moyen-Âge jusqu'à aujourd'hui. Il s'appuie (pour l'étude diachronique sur un corpus de représentations, sur les testaments, la littérature (La mort d'Ivan Illich de Tostoï par exemple). Pour lui l'évolution peut se résumer en ces trois parties:
1°. A la fin du Moyen Age, les images macabres signifiaient, comme l'ont pensé Huizinga et Tenenti, amour passionné de la vie et en même temps, comme je le crois, fin d'une prise de conscience, commencée au XIIe siècle, de l'individualité propre à chaque vie d'homme.
2°. Du XVIe au XVIIIe siècle, des images érotiques de la mort attestent la rupture de la familiarité millénaire de 1'homme et de la mort. Comme 1'a dit La Rochefoucauld, 1'homme ne peut plus regarder en face ni le soleil ni la mort.
3°. A partir du XIXe siècle les images de la mort sont de plus en plus rares et elles disparaissent complètement au cours du XXe siècle, et le silence qui s'étend désormais sur la mort signifie que celle-ci a rompu ses chaînes et est devenue une force sauvage et incompréhensible.
Ce qui est aussi intéressant (même si l'ouvrage est un peu ancien, 1975) c'est la vision contemporaine de la mort qui a été évincée, elle s'est déconvivialisée (pour faire un néologisme inspiré d'Ivan Illlcih) et dans nos sociétés a été reléguée à un interdit. (Le corps, l'individu mourant a quitté la maison pour l'hôpital) Et la maladie se technicisant, nous perdons notre autonomie au profit d'un soin éternel mensonger. La mort selon lui (en 1975) devient le nouvel interdit prenant le chemin inverse du sexe. Et reprenant un article de Gerber, il parle de la pornographie de la mort)
Ce qui manque peut-être à cet exposé, c'est le rapport au monde médical et la manière dont la médecine depuis le XVII est venu désacraliser le corps, est allé le profaner pour en élaborer un mécanisme. C'est mon hypothèse: en décortiquant le corps, en le médicalisant donc, l'individu a vu la mort et l'agonie perdre de son hétéronomie divine (destin, prédestination, fatalité, métaphysique...) et de fait, est venu faire perdre l'emprise que le mourant pouvait avoir sur lui-même, est venu tromper les survivants qui finissent par trouver la mort, alors aux mains d'autres hommes, injuste.
Il paraît de plus en plus évident que cacher la mort, la contraindre au milieu hospitalier est une forme d'aveuglement face à ce destin commun et que nous aurions à gagner à la rendre plus familière pour à la fois le confort du mourant mais aussi pour apaiser les vivants..
Depuis 45 ans, les évolutions des moeurs indiquent de nouveaux mouvements (cimetières, incinérations, nouveaux rapports à la vieillesse, à la douleur, fin de vie...) Qui a pris la suite de Philippe Ariès?