A mon humble avis, on peut difficilement parler d’anticipation. Pour moi c’est principalement de l’espionnage psychologique.
J’avais d’abord été attiré par la dimension anticipation : en 2045 les USA coupés en deux pays qui s’opposent. J’avais pensé au Maître du Haut-Château de Philip Dick. Mais assez rapidement je me suis rendu compte que cette scission n’était pas le sujet du roman, juste son décors. Bien sûr il y en a une description et un placement dans le flux historique, depuis la Guerre de Sécession (1861-1865) jusqu’à nos jours. Mais finalement cette description se contente plus ou moins à mettre en opposition une théocratie à une technocratie.
En fait, on voit vite que l’auteur essaye de donner une consistance à l’actuelle guerre culturelle qui se déploie en ce moment aux Etats-Unis et qui a été mise en lumière depuis la période Trump. En 2023, cet aspect est très attractif pour le lecteur qui s’intéresse à la sociologie et la politique de ce pays.
Pourtant cette description reste un peu sommaire. L’auteur ne parle pas du reste du monde qui est seulement vaguement évoqué à deux endroits du roman alors qu’on peut bien imaginer que si la première puissance du monde devait se diviser en deux il y aurait forcément un bouleversement à l’échelle du monde.
Ici c’est principalement la technocratie qui est décrite. L’auteur se base sur une espèce de biotechnologie mi-informatique mi-neurale (sans aller jusqu’au transhumanisme) et une capacité informatique de big data à l’échelle d’un pays (sans aller jusqu’à l’intelligence artificielle à proprement parler) pour bâtir une société façon 1984 (Orwell, 1948) où Big Brother est un système informatisé géant.
Alors de quoi parle-t-on ? On parle d’un agent du service de renseignement de la technocratie qui doit éliminer un agent du camp d’en face. Le fait d’avoir choisi deux femmes pour ces deux personnages interpelle : voulait-on avoir les coudées larges pour explorer leur psyché qu’on pourrait supposer plus riche que celle de deux hommes ? Au début du roman on apprend que ces deux femmes sont des demi-soeurs dont l’une découvre l’existence de l’autre et qui vont se combattre, forcément. On a donc une opposition simpliste à la mesure de l’opposition entre les deux pays frères. Cette construction enferme déjà le roman dans un cadre très étroit, les personnages secondaires étant peu nombreux et n’évoluant quasiment pas. Il faut préciser que le point de vue est centré essentiellement sur l’espionne de la technocratie. Pendant très (trop ?) longtemps, on ne sait que peu de chose de son double dans la théocratie. Il s’en suit de très longues descriptions de la préparation et ensuite du déroulement de la mission de l’espionne principale. C’est plutôt rébarbatif. Il y bien sûr des retournements de situation qui arrivent mais il faut attendre assez longtemps avant de les voir. La mission en question a peu d’intérêt si ce n’est de décrire un espèce de duel entre deux agents déshumanisés et donc, je suppose, de souligner la bêtises de l’opposition entre les deux pays.
Je crois que l’aspect rébarbatif est un effet secondaire de la volonté de l’auteur de montrer l’isolement psychologie du personnage principal en décrivant ses habitudes solitaires, des processus ennuyeux, des détails sans intérêt. Je crois que l’on touche là au sujet principal du roman; comment l’héroïne, avec son passé bancal (un père idéalisé et une mère absente), les difficultés de son début d’adulte, fait le choix de s’enfermer dans la solitude et l’isolement en choisissant l’espionnage dans une société basée sur la surveillance généralisée où tout le monde se surveille.
Le dénouement se passe en trois temps. C’est long et assez prévisible, et finalement assez frustrant. Tout d’abord l’escapade pseudo-amoureuse est beaucoup trop longue pour que le lecteur ne comprennent pas que les clés du dénouement y sont déjà incluses. Ensuite le retournement final (le deuxième temps) est lui aussi bien trop long car on attend une vrai explication qui ne vient pas. On a, à la place, une confrontation stérile. Et puis le dernier temps, presque inutile, qui est juste là pour confirmer ce que l’on devine depuis le début, l’héroïne choisit la solitude.