Dans la famille des "peintres subtils de tempêtes intérieures" fin de siècle, à coté d'Henry James, Schnitzler, Marai, Tchekhov et Proust, je demande le comte von Keyserling ! Car nettement moins lu que ces éminents piliers de la dissection sentimentale, il mérite pourtant sa place au soleil. Un soleil d'été quelques minutes avant le crépuscule.
Les romans de Keyserling ont tous la grâce désespérée de ce moment entre parenthèse, qui voit plonger dans le silence et l'obscurité une journée de fin d'été. Une journée qui fut assommée de soleil, engourdie de chaleur, où tous les bruits, les couleurs, les odeurs ont été portées à leur paroxysme, et s'apprêtent bientôt à disparaitre dans la nuit. Keyserling, pour déployer toute la richesse de son analyse psychologique, prend toujours soin de placer ses personnages dans une nature omniprésente, bruissante, mystérieuse et foisonnante. Au milieu de laquelle les souffrances de ses pauvres personnages, humains trop humains, semblent bien incongrues.
Un petit château de province, une famille riche, de vagues vagues de désir, une époque qui se sait condamnée, Keyserling reprend inlassablement les mêmes éléments, pour confectionner des bouquets toujours différents, aux exhalaisons à la fois fortes et éphémères. Un bref geste de la main, absurde mais décidé, pour retenir une seconde le temps qui passe. Car Keyserling a l'élégance du désespoir : il a compris que plus un mouvement est inutile, et plus belle sera la nostalgie qui lui succèdera.