K. à Auschwitz
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La particularité de la littérature concentrationnaire, c’est qu’on s’attend toujours à des récits forts, traumatisants ; ils le sont toujours, mais pas toujours pour les raisons qu’on attendait.
Imre Kertész avait 15 ans quand il a été arrêté et envoyé en camp de concentration. C’était un jeune au psychisme encore en formation, que les démonstrations d’affection ou les épanchements divers rebutaient, commentées par ces seules remarques « je trouvais ça gênant ».
Il est presque impassible quand son père est d’abord envoyé en camp de travail, ne l’embrassant lors de la scène d’adieux que pour lui faire plaisir dit-il, malgré les larmes qui lui viennent sans qu’il comprenne pourquoi. Quand on vient l’arrêter avec ses camarades juifs sur le chemin du travail, il y voit une occasion de voir du pays, presque une opportunité, voire une chance de partir parmi les premiers avant que les trains ne soient bondés, il pourra ainsi espérer avoir les meilleures places. Quand il arrive à Auschwitz dont il n’a jamais entendu parler, il est agréablement surpris par la propreté des lieux, passe devant un terrain de foot et se promet d’y jouer plus tard avec ses compagnons de voyage, après les heures de travail forcé. Il se sent même gêné devant des prisonniers qui lui expliquent les règles sanitaires : quel crime ont-ils bien pu commettre pour se trouver ainsi en costume de forçat ?
Kertész arrive ainsi à retrouver la distanciation de son jeune âge : peut-être celle de l’inconscience qu’il avait alors, mêlée à une forme d’anesthésie due au traumatisme. Nous trouvons ce même ton froid, distancié, neutre, chez Primo Levy, parfois chez Elie Wiesel. Kertész a même, sans l’intellectualiser, intégré la doctrine nazie : il considère les officiers des camps qu’il a traversés comme ayant une autre essence que lui-même : ils sont propres, beaux, impeccablement rigoureux…Cette distanciation donne au roman ses plus belles pages, les plus émouvantes ( P. 254 en 10/18, je ne veux pas vous le dévoiler, il faut le découvrir au sein du récit).
Parfois, l’auteur nous donne une explication, simple, évidente, sans affect. Ainsi, il se souvient d’une famille soudée, se déplaçant toujours ensemble à Buchenwald. Peu à peu, les deux fils ont dû aider le père à se déplacer, le père a disparu ; il a vu ensuite l’un des fils soutenir son frère qui a disparu lui aussi : « Tout cela, je le voyais, mais pas comme ça, comme je l’ai fait par la suite – après y avoir réfléchi, quand j’ai pu le résumer, le faire défiler en quelque sorte-, mais petit à petit, en m’adaptant à chaque nouvelle étape, et ainsi, en fait, je ne voyais rien. » ( 10/18 p 212) C’est cela, l’horreur ultime : s’habituer, s’adapter…Vouloir devenir un « bon prisonnier », bien obéissant, auquel on peut tout imposer sans qu’il ne se révolte.
Et pourtant… le retour à la vie, les tentatives pour expliquer l’inexplicable, la nécessité de vivre dorénavant une « vie invivable » disparaissent dans le souvenir de la vie et même plus : « Puisque là-bas aussi, parmi les cheminées, dans les intervalles de la souffrance, il y avait quelque chose qui ressemblait au bonheur. »
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Créée
le 17 mars 2021
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