Lu en Novembre 2021. Édition GF. 9/10


J'ai été content de retrouver Balzac et son style que j'avais aimé dans le Père Goriot : les longues descriptions d'apparences superflues mais qui donnent de la densité aux scènes et aux personnages. Des personnages longuement décrits, qui gardent leur part de mystère au bon vouloir de l'écrivain.


Le père Grandet a tout l'air d'un rustre, mais sera t-il mauvais jusqu'au bout ? Eugénie prendra-t-elle son indépendance ? Toute la troupe qui entoure la famille sera-t-elle humiliée par son impuissance face à la beauté du jeune Charles Grandet laissé à son oncle ?
Autant d'intrigues mises longuement en place que je me suis empressé d'élucider.


"Il lui avait surgi plus d'idées en un quart d'heure qu'elle n'en avait eu depuis qu'elle était au monde" (p95 - l1373-74) - Phrase que je trouve très Flaubertienne, je pense qu'il dit à peu près pareil de Félicité dans Un coeur simple.


Ce fut étonnant de voir comment Balzac peut faire jongler la situation d'énonciation en prenant le point de vue de plusieurs personnages, sans transitions.


Le personnage du père Grandet est un véritable sans cœur. Son insensibilité et son amour de l'argent sont édifiants. Ces citations sont très équivoques.
"le bois était rangé avec autant d'exactitude qur peuvent l'être les livres d'un bibliophile." (p111 - l1948)


"Il chiffra sa spéculation sur le journal où la mort de son frère était annoncée, en entendant, sans les écouter, les gémissements de son neveu" (p140 - l3010)


"Que le diable emporte ton bon Dieu ! - répliqua Grandet en grommelant. Les avares ne croient pas à une vie à venir, le présent est tout pour eux." (p142 - l3087-90)


"Ce vieux caïman de Grandet" (p242 - l6824)


"La riche et pauvre héritière" (p143) est certes éponyme mais le Père Grandet est longtemps le personnage principal.
"Ainsi le père et la fille avaient compté chacun leur fortune : lui, pour aller vendre son or ; Eugénie, pour jeter le sien dans un océan d'affection." (p172 - l4212-14)


Eugenie est d'emblée relativement touchante mais elle semble surtout peu maline.
"Je suis trop laide, il ne fera pas attention à moi" (p114 - l2044)


C'est suffisamment rare chez les réalistes pour être signalé ; c'est bien aussi quand tout va bien ! J'ai aimé la belle relation et la belle scène de don de confiance entre Charles et Eugénie.
Et j'ai aimé - quand même - voir le vieux Grandet satisfait de ses affaires, car ça le déride quelque peu.


La sororité me semble être un thème central de ce roman et elle est superbement traitée. La relation entre Eugénie et sa mère et même Nanon, est formidable d'amour et contraste avec le solitaire père Grandet.


p192. Très belle image d'Eugénie en Vierge Marie. Allégorie qui se confirmera j'ai l'impression qu'il a voulu faire de Eugénie Grandet, la vierge Marie du XIXeme siècle.
"Ma mère, je voudrais avoir pour un moment la puissance de Dieu" (p187 - l4768)


Cette oeuvre a eu ses moments comiques. D'ailleurs beaucoup de rapprochement avec Molière peuvent être fait. Grandet est un Harpagon, Eugénie une Agnès, Nanon une Martine a certains égards : elle fait ici preuve d'ironie bien qu'elle soit une simple servante.
"Vous voilà donc veuf, monsieur, lui dit Nanon. C'est bien désagréable d'être veuf avec deux femmes dans sa maison" (p205 - l5454)


Globalement les personnages sont caricaturés comme dans Molière et les courtisans si souvent moqués chez le dramaturge le sont ici dans l'opposition entre les Cruchot et De Grassins. Opposition qui a été expédiée en une demi page ce qui m'a semblé très comique. Le père De Grassins qui se faut libertin, c'est assez hilarant. Mais je me demande si ce choix en est complètement un ou si Balzac n'aurait pas eu un besoin de finir vite son bouquin ?


La mort de Grandet est presque touchante, le bonhomme est surtout vieux, sa vieillesse dépasse pour Eugénie son avarice et son anempathie.
"Tu me rendras compte de ça là-bas", dit-il en prouvant par cette dernière parole que le christianisme doit être la religion des avares" (p224 - l6165-66)


L'évolution de Charles et sa lettre à Eugénie sont d'une incroyable violence quand on s'est attaché à la douceur d'Eugénie.
"La mort de nos parents est dans la nature, et nous devons leur succéder [...] Nous nous devons à nos enfants" (p236-37)


Balzac a pu me sembler presque aussi mauvais avec ses personnages que Flaubert ne le sera avec les siens.
"Au contact perpétuel des intérêts, son coeur se refroidit, se contracta, se dessécha. Le sang des Grandet ne faillit point à sa destinée" (p230 - l6393-94)

NB : Intéressante idée d'hérédité déjà ! Bien avant Zola !


J'ai lu dans une critique qu'on pouvait appréhender la plupart des œuvres balzaciennes comme des tragédies en 5 actes. Et cette réflexion me semble très vraie dans ce livre. Déjà, Eugénie prend des airs d'héroïne de tragédie classique.
"Le mariage est une vie, le voile est une mort.
Eh ! Bien, la mort, la mort promptement, monsieur le curé, dit-elle avec une effrayante vivacité."
(p240 - l 6752-3)


Ensuite, comme dans les tragédies qui me plaisent, ce livre m'a accroché dès son exposition, pour perdre un peu de rythme dans le développement et enfin me tenir en haleine dans le final. Une vraie progession de tragédie.


Dans le final justement, le président est pathétique, il a eu ce qu'il voulait, mais heureusement il en meurt vite après.
'Monsieur le Président, lui dit Eugénie d'une voix émue quand ils furent seuls, je sais ce qui vous plaît en moi" (p244 - l 6890)


Charles est heureusement puni.
Finalement Balzac n'est pas si cruel avec sa Eugénie, au moins Nanon l'aime même si : "Il n'y a que toi qui m'aimes" disait-elle à Nanon." (p249 - l7108)


En conclusion, j'ai vraiment adoré ce livre qui constitue ma deuxième lecture de Balzac. Je m'attaquerai prochainement à Ursule Mirouet pour creuser les Scènes de la vie de Province. J'espère que ça sera aussi bien.


9/10

Créée

le 21 nov. 2021

Critique lue 166 fois

Arimaakousei

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