Encore un livre lu il y a longtemps et qui m'avait alors passionné. Je viens de le relire avec un toujours aussi grand plaisir …
Balzac jette, ici, son regard acéré sur une petite ville de province, Saumur. Le genre de petite ville, à l'écart des grandes villes et loin de Paris, où la vie semble assoupie. Délicatement, il nous fait pénétrer dans les vieux quartiers en contrebas du château qui domine la ville puis dans une maison "de faible rapport" où vit la famille Grandet. Et d'ailleurs, cela s'explique bien par le fait que le père Grandet n'est qu'un tonnelier au départ. Il va s'enrichir à la suite de successions opportunes, de placements opportunistes et d'un flair peu commun. Mais, dans nos provinces, on garde l'argent et on ne le dépense pas. On n'en parle pas non plus. Donc pas de raison de changer de maison ou de standing. Quitte au petit monde de Saumur de supputer, estimer, envier, exagérer peut-être la vraie fortune du bonhomme. Mais le regard de Balzac poursuit sa route et nous laisse découvrir les capacités financières et surtout la passion avaricieuse de Grandet pour l'or.
Financièrement parlant, M. Grandet tenait du tigre et du boa.
Dans l'ordre d'apparition dans le roman, Balzac commence par les relations de la famille Grandet, Cruchot (le notaire et le droit), De Grassins (la finance), puis Madame Grandet, puis Nanon la servante et termine enfin par Eugénie. Une fleur en bouton.
Ainsi se met en place le roman dont on comprend peu à peu les ressorts et modes de fonctionnement de tous ces gens. Eugénie devient un enjeu familial entre Grandet, Cruchot et De Grassins qui ont, comme par hasard, un garçon à marier. Enjeu dont on parle, qu'on laisse miroiter, qui est envisageable sous réserve que…
Arrive le cousin Charles, jeune gandin en provenance de la Capitale et voilà qu'il agit comme un révélateur de l'avarice et du comportement de Grandet, de la peur à laquelle il soumet sa famille et du cœur d'Eugénie qui se met soudain à battre. Le roman prend alors une dimension presque tragique.
On se rend compte que la vie de province telle que décrite par Balzac, qu'on retrouvera dans bien d'autres romans, est très contraignante notamment pour les femmes qui n'ont guère d'horizon et qui n'ont pas ou peu d'occasions de s'épanouir par elles-mêmes. Ce qui doit bien correspondre à une réalité corsetée par le "paraître", les exigences de la religion et le "qu'en dira-t-on". Rares sont les romans de Balzac où comme dans la Rabouilleuse, une femme parvient à fuir et à se faire une situation par elle-même. Eugénie était une fleur en bouton ; à l'arrivée de Charles, elle vient d'éclore puis se met à attendre comme une jeune fille de la bourgeoisie saumuroise se doit d'être.
Si au début du roman, Eugénie est naïve et crédule, elle mûrira sans pour autant pouvoir ou vouloir s'émanciper. On retiendra du personnage d'Eugénie Grandet une force de caractère se traduisant par un équilibre entre son côté romanesque et son côté réaliste qui la rend très crédible voire admirable aux yeux du lecteur. Par exemple, elle trouvera les moyens pour convaincre sa mère et Nanon, terrorisées, de passer outre les contraintes et l'avarice de son père sans oublier, évidemment, son comportement plein de dignité et même de grandeur lorsque Grandet découvre qu'elle a fait don de ses louis d'or.
J'aime bien ce roman où Balzac nous laisse entrevoir à la fin une Eugénie qui ne tombe pas dans le vice de son père, qui paraitrait "parcimonieuse si elle ne démentait la médisance par un noble emploi de sa fortune". Et puis j'aime la fin ouverte que Balzac nous propose où l'histoire d'Eugénie n'est pas forcément terminée…