Dédicace au croque-mort

Grâce à une écriture percutante, laquelle alterne présent et passé simple, rompt sciemment la structure syntaxique de certains paragraphes et fait usage de comparaisons toujours sombres, le décor et les personnages se matérialisent assez facilement dans l’esprit du lecteur. Les mots sont en fait à ce point puissants qu’ils projettent des éclats d’os et de cervelle sur les pages, sans trop de difficulté. Les descriptions sont crues, comme le sont les paroles des détenus et de leurs poursuiveurs : chapelets d’insultes et blasphèmes passent de lèvres en lèvres, comme seuls moyens d’expression connus. Pas un n’échappe à cette violence verbale, toujours prête, voire désireuse de se muer en violence physique.

La rotation des points de vue d’un chapitre à l’autre permet une continuité intelligente du récit, en ce que l’auteur concentre lui-même tout l’intérêt du lecteur sur la scène la plus importante de la chronologie. C’est malin, non seulement parce que cela empêche la lassitude de s’installer, mais aussi parce que cela dresse un tableau complet du genre humain, dans ce qu’il a de plus noir. Le contexte historique obscurcit encore davantage ce portrait puisque les personnages sont pour la plupart des vétérans de guerre (de Corée, du Viêt Nam), traumatisés par ce qu’ils ont vu ou parce qu’ils ont fait, naturellement racistes.

Tout ceci fascine de façon pernicieuse : comme les journalistes, comme Garrett surtout, on voudrait détourner les yeux de ce spectacle lugubre mais on continue malgré tout de lire, de plonger dans les affres du désespoir, dans les tourments de ces individus déshumanisés. Et on termine le roman avec soulagement (peut-être regret pour les plus détraqués d'entre nous), en soufflant ouf ! je n’y étais pas.

... J’ai beau avoir lu attentivement chaque page, il y a deux questions qui me turlupinent ; si jamais un lecteur plus scrupuleux — et sans doute plus futé — que moi passe par ici, aurait-il la bonté d’y répondre ?

J’ai l’impression qu’elles sont essentielles et que je passe à côté d’un point important du livre, c’est assez frustrant.

Quoi qu'il en soit, voilà un bon exemple de ce qu'est un roman noir, capable à la fois de captiver et d'effrayer.