J’ai lu ce livre à sa sortie. Je me suis empressé d’oublier sa thèse. Pis, je l’ai perdu physiquement. Une mauvaise conscience persistante me fit reprendre sa lecture, il m’est tombé des mains. Un an plus tard, j’en suis venu à bout. C’est terrifiant. Le génocide juif n’est pas unique, il a été précédé par ceux des Indiens, Caraïbes, Hottentots et autres Tasmaniens. Le racisme n’est pas à l’origine du colonialisme, mais il l’a, à postériori, justifié. Les races dynamiques et supérieures manquant de place, il est juste qu’elles se développent au détriment des inférieures. Ces dernières disparaitront d’eux-mêmes. C’est la théorie. En pratique, les Européens se sont empressés de s’approprier les meilleures terres, de refouler les autochtones sur des territoires stériles, de les affamer, de les pousser à la révolte et de les massacrer.
1 – À la fin du Moyen-Âge, vue de Chine, des Indes ou du Proche-Orient, l’Europe est peuplée de barbares. Elle vit dans la crainte de ses voisins, Huns, Arabes ou autres Turcs. Elle prendra le dessus en deux temps.
2 – En 1571, ses lourds vaisseaux en chêne pulvérisent les frêles galères ottomanes. L’Europe s’arroge le commerce international et impose ses comptoirs. Ses bombardes écrasent les fortifications adverses. L’apparition de la vapeur ouvre à sa rapacité les grands fleuves, pourtant, elle peine à s’imposer plus loin. L’arme standard est un fusil chargé par la bouche, à canon lisse. Il tire un coup à la minute, par temps sec et à moins de 100 mètres. Trois coups sur dix échouent. Les forgerons africains ou indiens font tout aussi bien. Un archer expérimenté décoche ses flèches plus vite, plus loin et avec plus de précision.
3 – En 1853, la cartouche en papier du fusil Enfield pousse la portée pratique à 500 mètres et accroit la cadence de tir. En 1866, la Prusse déploie des armes à chargement par la culasse, qui font feu sept fois plus rapidement et autorisent une position de tir allongée. Déjà, s’annoncent les fusils à répétition et les mitrailleuses. En 1884, le français Vieille invente la poudre sans fumée. Grâce à la bessemérisation, l’acier devient bon marché. Forgerons et armuriers traditionnels sont dépassés. À la fin des années 1890, les soldats européens tirent à couvert, par tous les temps, quinze coups durant quinze secondes, sur des cibles situées à 1 000 mètres. Le 2 septembre 1898, 11 000 soudanais sont tués, pour 48 britanniques. Les 16 000 blessés semblent avoir été exécutés. Présent sur place, Winston Churchill : « Ainsi s’acheva la bataille d’Omdurman, la plus éclatante victoire jamais remportée par les armes de la science sur les barbares. En cinq heures, la plus forte armée de sauvages jamais dressée contre une puissance européenne moderne avait été détruite et dispersée sans guère de difficultés, avec en comparaison peu de risques et des pertes insignifiantes pour les vainqueurs. » (The River War, 1899). Plus tard, il reviendra sur cette journée : « Cette sorte de guerre était pleine de frissons fascinants. Ce n’était pas comme la Grande Guerre. Personne ne s’attendait à être tué… Pour le plus grand nombre de ceux qui prirent part à ces petites guerres d’Angleterre dans ces temps légers et disparus, il n’y avait que le côté sportif d’un jeu splendide. » (My early life, 1930)
4 – Trop d’Européens interprètent cette soudaine supériorité technique en supériorité intellectuelle, voire raciale. Le philosophe libéral britannique Herbert Spencer (Statique sociale, 1850) : « Les forces qui font aboutir le projet grandiose du bonheur parfait ne tiennent nullement compte de la souffrance d’ordre secondaire, et exterminent ces sections d’humanité qui leur barrent le passage... Qu’il soit être humain ou brute, l’obstacle doit être éliminé. »
5 – L’opinion exige des colonies. Britanniques et Français conquièrent d’immenses empires. Peu nombreuses, leurs troupes s’imposent par la terreur. Les gouvernements locaux sont confiés à des poignées d’hommes, avec droit de vie et de mort, hors de tout contrôle de la métropole. À l’image du héros de Joseph Conrad, combien ont perdu la tête : « Exterminez toutes ces brutes ! »
Deux remarques :
- En leurs temps, Attila, Gengis Khan ou Tamerlan massacrèrent tout aussi allègrement. Cela ne me console pas.
- Ce racisme impérialiste se mêla, surtout en Europe du Nord, de “darwinisme social“, qui justifia des campagnes de stérilisation ou de déportation d’éléments européens jugés inférieurs.