Ray Bradbury n'est pas un auteur de Science-Fiction. Sa seule et unique oeuvre dans ce registre c'est Fahrenheit 451. Et quand on voit la qualité de cette ouvrage, on ne peut que le déplorer.
Dans une société dystopique, Guy Montag est un pompier. Son boulot quotidien ? Faire régner la justice en brulant les livres détenus illégalement par la population. Dans ce monde, aucune place pour les sciences de l'esprit. Toutes les formes de réflexion sont prohibées pour pouvoir contrôler la population. Cela convenait parfaitement à Guy. Il ne se posait aucune question et se contentait de suivre les ordres. Mais sa vie va basculer le jour où il va rencontrer Clarisse. Une jeune fille qui aime réfléchir. Une jeune fille qui se pose des questions. Des tas de questions. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle en a envie. Cette rencontre va amener notre pompier à se remettre en question. Il va lui aussi commencer à questionner son quotidien, la société dans laquelle il vit et également le but de son existence. L'envie de lire un livre commencera même à le tarauder. Cela actera un point de non-retour.
A partir de maintenant, je parle librement d'éléments de l'histoire et notamment de la fin. De ce fait, cela s'apparente à du SPOILER. Par ailleurs, je vais également dresser quelques légers parallèles avec 1984 de G. Orwell donc il y aura de petits SPOILERS à ce niveau là. Vous êtes donc prévenus.
J'aime les dystopies. J'aime suivre la prise de conscience de ces personnages candides. Surtout lorsque l'univers établi permet d'en tirer une satyre sur notre société à nous. C'est le cas ici dans ce Fahrenheit 451. Que dire de ces écrans muraux diffusant "la Famille" ? N'est-ce pas une référence à notre quotidien hyperconnecté aux réseaux sociaux ? Cette "Famille" est aussi impersonnelle et détachée de la réalité que les centaines d'"amis" qu'on peut avoir sur certains médias. Ne dit-on pas qu'aujourd'hui les jeunes (voire les moins jeunes) passent de plus en plus (/trop) de temps derrière leurs écrans ? N'assiste-t-on pas à une course à la technologie pour avoir le dernier modèle de téléphone/console de jeux et ainsi être dans vent et toujours plus connecté aux autres ? C'est ce que décrit Bradbury à travers la lubie de Mildred de posséder à tout prix, et ce jusqu'à l'endettement, 4 écrans géants sous peine d'être la risée de ses amies.
C'est pour ce genre de réflexion que j'aime par dessus tout les romans comme 1984 ou Fahrenheit. C'est peut-être facile de critiquer notre quotidien à partir d'un écrit vieux de 60ans mais pour moi le constat est bien présent. Il prend encore plus d'épaisseur lorsqu'on s'intéresse aux programmes diffusées dans l'univers de Bradbury. Des programmes courts, violents, trashs, simples d'accès et dénués de sens. Saluons donc les ingrédients d'une émission de télé-réalité. Voire d'un télé-crochet. Des divertissements "bas de gamme" qui divertissent la population à moindre cout tout en mettant leur cerveau sur Off. C'est vide. C'est creux. C'est impersonnel. Ca encombre et envahit toutes nos chaînes de télé. Entre nous, ça fait flipper. Surtout qu'en extrapolant un peu on pourrait se dire que la société de Fahrenheit s'ancrera peut-être un jour définitivement dans notre réalité.
Quoi que non en fait. Il y a quand même quelque chose propre aux dystopies qui, selon moi, oblige ces écrits à rester au stade de fiction. Je ne peux concevoir qu'une société comme celle de 1984 ou du Meilleur des Mondes devienne réelle. Dans la mesure où on est noyé sous un flux constant d'informations à l'échelle mondiale, il n'y a aucune chance que la population mondiale passe à coté d'un tel putsch intellectuel. Cela aurait pu être possible il y a soixante ans. Plus aujourd'hui (Quoi que dans le pire des cas, il resterait les internautes de SensCritique pour s'opposer à l'oppression ^^). C'est l'un des avantages de notre société. D'internet. Et cela, Huxley, Dick, Orwell ou Bradbury ne pouvaient l'anticiper. Enfin bref, là je m'égare totalement donc je vais me recentrer sur le livre car j'ai déjà dû perdre la moitié de mes hypothétiques lecteurs.
Donc je disais qu'on pouvait dresser quelques parallèles avec nos sociétés actuelles. Chose amusante, c'est que Bradbury saupoudre ses concepts d'une pointe de futurisme ancrant son récit dans la Science Fiction. Je pense au gant remplaçant la clenche d'une porte d'entrée et qui permet d'identifier le propriétaire. Je pense aussi aux affiches publicitaires sur l'autoroute qui mesurent 60m de long [le budget marketing pour l'affichage doit couter une fortune !] pour permettre aux gens de les voir car les gens sont ivres de vitesse lorsqu'ils roulent. Je pense aussi aux petits coquillages auditifs ou à ce prédateur effrayant qu'est le Limier. Tous ces éléments font de Fahrenheit un roman qui ravira les amoureux de SF. C'est peut-être pas aussi fouillé qu'un UBIK (de P.K. Dick) mais c'est très agréable à découvrir et c'est écrit avec la plume si aérienne de R. Bradbury. Le lire lorsqu'il parle de la beauté d'une flamme ou d'un incendie ça légitime presque de se procurer le bouquin.
Avant de sauter le pas et de braver l'interdit suprême en lisant un livre, Montag était conditionné et esclave de sa société. Un pion sans âme ni consistance. Tout ce qui l'entourait, Guy Montag niait. (dédicace à Gothic_Plague). Après sa prise de conscience et son rejet du monde, il va être traqué par ses paris. J'ai lu à droite, à gauche que certains considéraient cette partie "action" ainsi que le dénouement comme étant bâclés. Je n'irai pas jusque là. Le rythme plus nerveux que l'auteur insuffle au roman tranche radicalement avec l'élévation intellectuelle de Montag. C'est peut-être ça qui a déstabilisé les lecteurs. Personnellement j'en ai fait fi. Par contre, je reconnais que l'aura "Happy End" (en demie teinte cependant) qui flotte sur la fin est un peu déconcertante. Déconcertante car la rencontre avec les intellectuels (/parias) est amenée de manière un peu abrupte.
(lien avec 1984 - SPOILER)
Là où Orwell achève son 1984 sur une note défaitiste signifiant la fin de l'Homme (qui pense donc qui est), Bradbury choisit l'optimisme. Il opte pour la reconstruction et la foi dans l'être humain. C'est un parti-pris comme un autre. Mais là où pour moi il a su rester cohérent, c'est dans l'anéantissement de la civilisation par les flammes. C'est une conclusion logique pour un ouvrage qui tisse une relation si particulière avec le feu. La cité a été purifiée par les flammes. Ces mêmes flammes qui asservissaient l'intellect des habitants servent ici à repartir sur des bases nouvelles. Une manière pour Bradbury de signifier que l'homme est plein de ressources. C'est quand même plus encourageant que "Vive le Parti". N'est-ce pas Monsieur Orwell.
(FIN du spoiler)
Je me rends compte que j'arrive à la fin de ma critique et qu'au final je n'ai rien écrit. Il y a encore tellement de choses dont je voudrais parler. Je n'ai pas parlé de Beaty et de la propagande tronquée dont il est victime, je n'ai pas abordé la société du paraître où le suicide est une échappatoire au mal-être, j'ai fait l'impasse sur le maccarthysme et je n'ai pas fait mention de la propagande du gouvernement sur l'accouchement ni des dérives des jeunes à chercher des sensations fortes et de la débauche. Ces éléments sont autant d'arguments qui me font vous conseiller ce livre. Je l'ai lu il y a plus de dix ans mais je n'avais pas assez de bouteille à l'époque. J'étais passé à coté de tellement de choses. Mais cette relecture m'a fait l'effet d'un électrochoc. Ce livre est, pour moi, aussi important qu'un 1984. Il prend peut-être moins aux tripes que ce dernier mais la pertinence du message vaut vraiment le coup d'oeil. D'autant plus qu'il se lit très vite.
Les livres de cet acabit sont rares et il serait dommage qu'ils soient consumés par l'oubli.