Il était temps que quelques historiens se réunissent pour répondre aux thèses farfelues que Zeev Sterhell commet depuis quelques décennies sur les prétendues origines françaises du fascisme ! Cet ouvrage, sans coloration politique particulière (c’est d’ailleurs ce qui lui donne sa crédibilité), se propose de réagir à la parution du dernier opus de l’historien israélien, "Histoire et Lumières".
Serge Berstein relève la subjectivité idéologique d’un chercheur marqué par son propre engagement sioniste ; Alain-Gérard Slama prend la défense de Barrès que sa désinvolture rapproche davantage des précurseurs des hussards que du fascisme ; Julliard reproche à Sternhell de concentrer ses recherches sur les « pré-fascistes » de gauche et de négliger le rôle des ligues ou des écrivains de droite ; Steven Englund remet à plat la question du boulangisme et de l’antisémitisme de la fin du XIXème siècle ; Jean-Paul Thomas explique en quoi le colonel De la Rocque et ses Croix de feu ressortissaient davantage d’une sensibilité républicaine et conservatrice que fascisante ; Paul Thibaud exhume l’histoire peu connue des catholiques antifascistes français ; Emilio Gentile tente un essai de définition du fascisme ; Anne Matard-Bonucci montre en quoi les réalités françaises et italiennes sont incomparables ; Jean-Pierre Azéma revient sur les raisons pour lesquelles le régime de Vichy ne peut pas lui non plus être rangé dans la catégorie des systèmes fascistes.
Les contributions les plus intéressantes, dont celle de Michel Winock, s’attaquent à la méthode historique biaisée de Sternhell, à son approche idéaliste et à ses postulats téléologiques. « S’imaginer révéler le sens de l’histoire à partir d’un classement binaire des idées ne relève que de l’ingénuité ou du militantisme. » La croyance à une essence transhistorique du fascisme faite de quelques idéal-types et se désintéressant sciemment de l’histoire factuelle pour se concentrer sur celle des idées est l’erreur qui se trouve au cœur de la thèse sternhellienne. Comment peut-on raisonnablement croire que la pensée de Georges Sorel a pu avoir plus d’influence sur la situation politique de l’Europe que les conséquences de la Première guerre mondiale ou de la crise de 1929 ? Comme l’écrit Julliard, « il faudra se demander pourquoi la tradition qui va du bonapartisme au gaullisme en passant par le boulangisme, loin d’avoir été liberticide dans notre pays, l’a peut-être en définitive préservé de la tentation fasciste ».