Violette Morris... ce nom a toujours évoqué pour moi les pires heures de l'Occupation, quand des Français ont commis les pires atrocités en collaborant avec l'ennemi nazi. Cette femme, figurant en couverture de ce roman, avait beau avoir croisé mon regard en librairie, m'interpellant par là même, j'étais résolue à ne pas me plonger dans l'histoire glauque de cette femme qualifiée de "hyène de la Gestapo" et accusée notamment d'avoir torturé des résistants au siège de la Gestapo, situé rue Lauriston, à Paris.
En même temps, ces destins infamants et horribles m'ont toujours intriguée : comment un être humain peut-il à un moment de sa vie basculer du côté du mal et devenir un monstre ? existe-t-il des légendes noires forgées de toutes pièces, comme il en a tant existé de par le passé, et dont Violette Morris aurait fait les frais ? Je dois avouer que je ne connaissais pas grand-chose de la vie de Violette Morris à part l'existence de cette légende noire et le fait qu'elle préférait les femmes, c'est un peu court me direz-vous pour porter un jugement sur cette femme. J'ai alors décidé de m'intéresser à ce personnage afin de me faire ma propre opinion. Je me suis d'abord prudemment approchée de ce personnage par le biais de la bande dessinée, Violette Morris, une femme à abattre – que je vous conseille –, avant de me plonger dans ce roman historique.
Enfin un roman historique sur Violette Morris !
Oui, enfin ! Ce n'est pas que j'en ai assez de Napoléon, de Marie-Antoinette ou de Louis XIV, mais j'aime quand les romanciers s'emparent de personnages historiques moins connus, moins consensuels, moins passe-partout. Cependant, je ne m'attendais pas à ce qu'un jour l'un d'entre eux, Gérard de Cortanze en l'occurrence, s'attaque à ce personnage sulfureux et maudit.
Jusqu'à maintenant, il existait quelques biographies, citons celles de Raymond Ruffin dont les titres ne laissent planer aucun doute sur sa position (La diablesse. La véritable histoire de Violette Morris et, plus récemment, en 2004, Violette Morris, la hyène de la Gestapo) et celle de Marie-Jo Bonnet publiée en 2011 (Violette Morris, histoire d'une scandaleuse). Avec cette biographie, Marie-Jo Bonnet remet en cause les jugements un peu hâtifs, voire non documentés, de Raymond Ruffin et démonte l'exécrable portrait à charge qu'il dresse de Violette Morris, elle jette ainsi un éclairage nouveau sur cette femme. Cette biographie a fait l'objet d'une adaptation sous forme de bande dessinée dont je vous ai parlé ci-dessus. Certains n'auront de cesse de critiquer cette biographie, arguant du fait que Marie-Jo Bonnet est une féministe militante, mais ce serait oublier qu'elle est avant tout historienne. Ce débat houleux montre combien il est encore difficile de nos jours d'aborder certains sujets et il faut reconnaître à Gérard de Cortanze le mérite d'avoir consacré un roman à ce personnage qui continue de diviser aujourd'hui.
Une femme qui court...
Le titre de ce roman m'a étonnée de prime abord, ne connaissant pas la carrière de sportive de haut niveau menée par Violette Morris. Mais cette course n'est pas que physique, elle est aussi symbolique : Violette Morris a toujours vécu intensément, faisant feu de tout bois, comme si elle n'avait pas le temps, comme si elle devait toujours être en action, en mouvement, pour ne pas être confrontée à ses pires démons. Et c'est sur un rythme plutôt trépidant que Gérard de Cortanze nous invite à suivre le parcours de Violette depuis son enfance jusqu'à sa mort.
"Elle avait toujours eu la robustesse insolente d'une jeune plante qui a trouvé son terrain, qui a surgi dru. Elle n'avait jamais connu l'âge merveilleux des lectures, où le monde imaginaire se découvre, où la jeunesse enveloppe de son voile magique le monde réel. Pas d'imaginaire dans sa vie, que de la réalité brute, violente, d'un bloc."
Le portrait d'une femme libre et hors du commun
Née en 1893, Violette Morris est placée en pension dès l'âge de 10 ans au couvent de l'Assomption de Huy, en Belgique. Loin des siens et en manque d'affection – un père indifférent, une mère hostile qui vit dans le souvenir de son fils Paul mort quelques années avant –, Violette développe alors une passion pour le sport, encouragée par sa professeure Miss Eliss, activité qui lui permet de canaliser son énergie, de "mettre sa violence en cage", de s'affirmer et de s'épanouir.
"[...] à l'indifférence polie de ce père venait s'ajouter la franche hostilité de sa mère. De vingt ans plus jeune que son mari, Elisabeth Sakakini, dite « Betsy », ne s'était jamais remise de la mort de son petit Paul, survenue deux ans avant la naissance de Violette, à l'âge de huit mois. Ce décès prématuré, elle le faisait payer chaque jour à sa fille."
C'est aussi au pensionnat qu'elle découvre d'abord l'amitié puis l'amour, et son penchant pour les femmes, en la personne de Sarah Ponsonby, mais aussi la violence lorsqu'elle est violée par le jardinier du couvent, Octave Vandemer.
Mais rien ne peut arrêter cette sportive polyvalente, qui excelle dans toutes les disciplines qu'elle pratique : athlétisme (lancer du javelot et du disque, course à pied, etc.), natation, football, boxe, cyclisme, course automobile... Rien ne résiste à cette femme dont la devise est "Ce qu'un homme fait, Violette peut le faire." et autant vous dire que cela en énerve plus d'un !
"[...] face à cette vie qui lui pesait tant, elle comprenait qu'elle ne pourrait y faire face qu'en se dépassant sans cesse, qu'en se posant des défis à l'issue toujours plus improbable. Aussi décida-t-elle d'exceller davantage encore, dans les disciplines qui étaient les siennes, mais dans d'autres aussi qu'elle découvrait et qu'elle adoptait [...]"
Un portrait au vitriol de la presse et de la société
L'étude de la presse d'époque est un bon moyen d'apprécier l'état d'esprit qui régnait alors et le constat est sans appel : à la lecture des quelques extraits d'articles consacrés aux exploits sportifs de Violette Morris et reproduits par Gérard de Cortanze, on en ressort éberlués, avec un sentiment de dégoût, de honte et de nausée. Considérée comme un monstre, méprisée, traînée dans la boue, on y parle davantage de ses extravagances, de sa sexualité et de son physique hors norme que de ses exploits sportifs. En voici quelques extraits :
"Comment expliquer à ces « sportives » que les hommes préfèrent avoir affaire à des êtes fragiles, si joliment surnommés « femmes-poupées », plutôt qu'à des blocs de muscles inesthétiques ?" écrivit Le Miroir des sports. Quant à La Vie au grand air, elle n'hésitait pas à demander : "Pourquoi des femmes « s'hommassient »-elles à ce point ? Pourquoi se musclent-elles, se déforment-elles, s'enlaidissent-elles à ce point ?" La palme revient au Sport universel illustré qui n'hésita pas à conclure son article par ces mots : "La femme est faite pour garder sa maison et élever ses enfants ! Restez femmes, mesdames, quel besoin d'enfourcher une bicyclette ou de chausser des gants de boxe !"
"Le grand reproche adressé au sport féminin était qu'il tournait à l'exhibitionnisme, pour preuve le succès, bien que relatif, de certaines réunions : ce n'était pas la valeur sportive des concurrentes qui y était mise en valeur, mais des corps à moitié dévêtus, offerts à l'indécence des regards. Des attaques physiques, on passait à des considérations morales : le sport éloigne la femme de ses devoirs naturels, lui enlève le goût du mariage et plus spécialement de l'instinct de maternité. "
"[...] l'article qui l'accompagnait était sans appel : "Le sport féminin effraie bien des milieux : pourquoi ? Parce que à côté des milliers de jeunes sportives qui doivent à des activités raisonnables une santé robuste et des maternités faciles, il est un arbre qui cache la paisible forêt. Il a pour nom : Violette Morris. Non pas une « originale à l'allure d'homme », comme la décrivent certains de nos confrères, mais un danger public, un être violent, brutal, inesthétique."
Quant à la société française, elle n'est pas prête à accepter l'existence d'une femme aux cheveux courts et aux habits d'homme, qui fume et qui préfère les femmes. Violette Morris fait tâche dans la société patriarcale du début du XXe siècle, et son ablation des seins ne fait qu'accentuer l'incompréhension entre Violette et ses contemporains, cette opération étant pour eux le summum de la monstruosité.
"Arrivée première, elle fut disqualifiée sur plainte déposée par un coureur qui l'accusait d'avoir eu un comportement dangereux pendant la course, « typique de l'hésitation féminine, un coup à droite, un coup à gauche, elles ne savent pas ce qu'elle veulent. »"
"Quoique le XXe siècle fût bien installé dans son premier quart et que le clergé ne refusât plus les sacrements à toute dame vêtue en cycliste, comme il l'avait proclamé au siècle dernier, on trouvait encre des gens pour estimer que les vélocipédistes femelles étaient "rares, laides et ridicules" ou pour fustiger le sport féminin considéré comme une mascarade abjecte, un spectacle grotesque, une exhibition malsaine, une pantalonnade provocatrice !"
Comment Violette Morris a-t-elle pu supporter un tel acharnement et de telles attaques personnelles durant autant d'années ? Son physique, sa manière de vivre, son comportement... Traquée en permanence comme du gibier par des chasseurs, les journalistes n'attendant qu'un faux pas pour s'acharner sur elle, Violette résiste pourtant et ne cède à aucune pression, calomnie ou perfidie.
Une femme en avance sur son temps ?
Alors que la Coupe du monde féminine de football 2019 vient de s'achever, j'ai souvent pensé à Violette Morris durant ces quelques semaines, à la joie qu'elle aurait ressentie de voir ces femmes jouer au football en toute liberté, encouragées par toutes ces femmes, tous ces hommes et tous ces enfants, sans avoir à subir de remarques désobligeantes. Certains, dans la presse ou le public, n'ont certes pas pu s'empêcher de tenir des propos sexistes, mais qu'ils semblent aujourd'hui ridicules et d'un autre temps ! De là à dire que Violette Morris est née quelques années trop tôt, il n'y a qu'un pas... que je ne franchirai pas. Le statut des femmes évolue dans le bon sens mais si lentement... je ne suis pas sûre que Violette Morris serait beaucoup plus heureuse de vivre aujourd'hui dans notre société rongée de manière pernicieuse par l'intolérance et la violence (remarques sexistes, gestes déplacés, féminicides, agressions homophobes, différences de salaires entre hommes et femmes, etc.). Le combat est loin d'être gagné... Alors Violette Morris était une femme en avance sur son temps mais même sur le nôtre !
Dans mon esprit, le XIXe siècle était l'une des pires périodes en matière de condition féminine, mais je me suis aperçue que le début du XXe siècle n'était pas en reste ! Certes les femmes ont participé à l'effort de guerre au cours de la Première Guerre mondiale – Violette a été ambulancière puis messagère motocycliste –, mais le rôle des femmes est de rester au foyer, d'enfanter, d'élever les enfants et de s'occuper de leur mari, point barre. Manifestation de la force et de la virilité de l'homme, la pratique d'un sport peut être envisagée s'il permet d'améliorer l'état physique de la femme, promesse de futures naissances d'enfants en bonne santé. Et, là, qu'avons-nous ? Une femme qui multiplie les exploits sportifs dans des disciplines habituellement réservées aux hommes, battant même les hommes sur leur propre terrain, quel scandale, notamment pour Pierre de Coubertin qui a refusé la participation des femmes aux premiers Jeux olympiques organisés à Paris en 1900 !
Pourtant, elle se plie un temps aux bonnes moeurs en épousant Cyprien Gouraud, qu'elle rencontre lors d'un bal mais dont elle divorce rapidement pour se mettre en couple avec son amie d'enfance, Sarah.
"Dès la signature de la paix les suffragistes avaient à juste titre espéré que leur civisme serait récompensé, aussi avaient-elles repris leur campagne avec enthousiasme et raisonnable espoir. Après tout, depuis longtemps, les Norvégiennes, les Danoises, les Anglaises, les Russes, jusqu'aux Néo-Zélandaises, avaient obtenu le droit de vote. Plus récemment les Luxembourgeoises, les Suédoises, les Belges, les Américaines avaient rejoint la cohorte des votantes. La France victorieuse était toujours à la traîne, réservant à ses filles, si copieusement louangées pendant les années terribles, une place peu enviable."
La descente aux enfers
Malgré ses victoires – elle est l'une des sportives françaises les plus titrées, détenant même des records nationaux et mondiaux –, elle est exclue de la Fédération française sportive féminine en 1930, accusée d'être agressive, bagarreuse et de profiter de la promiscuité des vestiaires pour "peloter" ses concurrentes. Cette radiation, qui l'empêche désormais de participer à la moindre épreuve sportive, l'affecte profondément. Le sport à haut niveau était pour elle comme un exutoire, lui permettant de canaliser sa violence et ses émotions. À partir de cette date, le parcours de Violette devient plus erratique, plus sinueux, plus difficile à suivre, comme si elle avait perdu sa principale raison de vivre et ne savait quelle voie prendre. Parallèlement, commence un lent et insidieux processus d'autodestruction : Violette se néglige, Violette boit, Violette fume de plus en plus, Violette prend beaucoup de poids...
Séparée de Sarah, elle se met à fréquenter les soirées mondaines au cours desquelles elle sympathise avec les personnalités de l'époque et, là encore, j'ai découvert une facette de son histoire dont j'ignorais tout : Joséphine Baker, avec laquelle elle entretient une courte relation amoureuse, Yvonne de Bray, qui sera également sa maîtresse, Jean Cocteau et Jean Marais, ces trois derniers vivront même quelque temps avec elle sur sa péniche amarrée en bord de Seine. D'ailleurs, Cocteau s'inspira de la relation conflictuelle entre les deux amantes pour écrire sa pièce Les Monstres sacrés. Elle s'essaie alors brièvement à la chanson et au théâtre, mais sa passion demeure avant tout la course automobile.
La question qui fâche : Violette a-t-elle collaboré de son plein gré ?
Jusqu'à maintenant, quels que soient les coups du sort, Violette parvenait toujours à retomber sur ses pieds. Mais c'est sans compter sur son ange noir, son ancienne amante, la sportive allemande Greta Fassbinder, qui réapparaît dans sa vie et parvient à la convaincre de se rendre à Berlin pour assister comme invitée d'honneur aux Jeux olympiques de 1936 : la France la considère comme un monstre, qu'à cela ne tienne, elle est accueillie à bras ouverts en Allemagne ! Et la presse française se fait l'écho de son voyage en Allemagne, la faisant passer pour une traîtresse... Violette est alors prise dans un engrenage infernal dont les Nazis entendent bien profiter le moment venu.
"Pourquoi avait-elle accepté de venir ? Quelle imbécile ! Ce voyage était un piège. On l'avait utilisée. Et elle n'avait rien vu, rien compris, rien senti. Quelle mascarade que cette grande messe servie par tous ces officiants en uniformes S.S., ces bataillons de S.A. et des Jeunesses hitlériennes ! Elle était française, et la presse allemande n'avait cessé de faire passer les athlètes français pour des paresseux, des laxistes, des décadents. "Les humiliant, c'est moi qu'on humilie", pensa Violette, qui pensa aussi, sans savoir pourquoi, mais le sentant presque physiquement, que la guerre allait éclater."
"Comme toujours lorsqu'il s'agit de prendre une décision dont on sait qu'elle va bouleverser sa vie, l'être humain hésite. Chez certains, l'hésitation est si forte qu'elle conduit au renoncement alors que chez d'autres, au contraire, elle précipite leur décision et ceux-ci se jettent, sans remords, comme ils l'eussent fait en se jetant dans les flammes d'un immense brasier."
À la déclaration de la guerre, prise à la gorge par des dettes et le chantage qu'exercent les Nazis sur elle (moeurs sexuelles, casier judiciaire, amitié avec Sarah qui est juive, volonté de continuer la course automobile, etc.), elle accepte de collaborer avec les Nazis en prenant la direction d'un garage automobile parisien réquisitionné par la Luftwaffe.
"Les garages sont des lieux de confidences, de fuites, des choses s'y disent. Approvisionnement, essence, pièces détachées, marché noir. On parle beaucoup dans les garages. Il suffit d'écouter, d'ouvrir grand ses oreilles..."
Les années qui suivent sont peu décrites, on voit Violette participer au marché noir en faisant des allers-retours entre Paris et la Normandie, transportant de la marchandise et de la nourriture destinées aux Allemands. C'est au cours d'un séjour en Normandie qu'elle fait la connaissance d'Annette, sa dernière passion amoureuse, qu'elle comptait retrouver à son retour de Paris pour fuir en Espagne et retrouver son ami le navigateur Alain Gerbault. Mais elle est abattue par des résistants le 26 avril 1944 alors qu'elle conduisait le couple Badreuil, des charcutiers collaborateurs, et leurs deux fils à Paris... mais ce n'était pas elle que visaient les résistants, mais Alain Boulin, cabaretier, adjoint au maire de Cabourg et collaborationniste très actif qui aurait dû être au volant, à sa place… Les cinq corps empilés les uns sur les autres furent retrouvés le 12 mai 1945 dans une ancienne mare à proximité du lieu de l'assassinat...
Il est difficile de se faire une opinion sur cette partie essentielle de la vie de Violette et qui n'est que survolée dans ce roman. Gérard de Contanze a préféré se concentrer sur sa jeunesse et ses années de sportive, éclairant par là même certaines zones d'ombre et permettant de mieux comprendre cette personnalité complexe. Une partie certes intéressante mais parfois un peu trop détaillée pour moi qui n'aime pas particulièrement le sport – j'ai un peu survolé les énumérations des titres remportés même si cela est important –, mais je m'attendais à ce qu'il détaille davantage les actions de Violette durant la Première Guerre mondiale et surtout la Seconde Guerre mondiale car c'est là que résident les plus grosses interrogations et polémiques. Absence de documentation, absence de faits avérés ? Gérard de Cortanze a choisi de ne réserver qu'une centaine de pages à cette époque cruciale dans la vie de Violette Morris, suivant la piste explorée par Marie-Jo Bonnet, celle d'une Violette Morris entraînée bien malgré elle dans la collaboration, piégée par les Nazis.
Vu son caractère pugnace et sa capacité à tenir tête à la presse et à tous ceux qui la critiquaient, j'avoue avoir un peu de mal à admettre qu'elle ait préféré collaboré plutôt que de prendre la fuite pour rejoindre la Résistance, à moins qu'elle n'ait été une opportuniste. Ou bien son ressentiment à l'égard de la France était-il si fort pour qu'elle ait pris fait et cause pour l'Allemagne nazie ? Ou a-t-elle manqué de recul à une période de sa vie où elle perdait pied, le retour à la réalité arrivant trop tard ?
Quant à son assassinat, Gérard de Cortanze expose les deux hypothèses possibles : la première met en cause la Gestapo qui souhaitait se débarrasser de Violette, devenue un témoin gênant, et qui aurait induit en erreur les résistants par le biais d'Alain Boulin, lequel leur aurait croire qu'il serait le conducteur de la voiture ; dans la seconde hypothèse, c'est Alain Boulin lui-même, informé qu'il était la cible du maquis normand, qui aurait envoyé Violette se faire tuer à sa place. Quoi qu'il en soit, il en ressort qu'aucun ordre venant de Londres n'a été donné pour tuer Violette Morris : ce n'était pas elle qui était visée, mais Alain Boulin. Toutefois, au lendemain de la guerre, la priorité était de rétablir l'ordre et de réconcilier les Français. Les journaux parlent alors "de la chute d'une femme, ancienne sportive aux seins coupés, qui avait trouvé dans la collaboration un moyen unique de donner libre cours à ses instincts sanguinaires et mauvais", voire la font passer tantôt pour un agent double, tantôt pour une sadique qui « aimait torturer dans les locaux de la Gestapo "avec une cravache et un briquet", tantôt pour la maîtresse du S.S. Standartenführer Helmut Knochen et de Carl Oberg, le chef supérieur de la S.S. et de la police en France ! La légende noire est en marche...
"Pourquoi la fascination, en temps de guerre, bien réelle tout de même pour une femme hors norme, a pu ainsi se transformer, une fois la paix revenue, en haine ? [...] quelque chose de terrible avait dû se passer dans son pays, la France, pour qu'elle accepte avec autant de facilité la thèse de la gestapiste tortionnaire."
L'impossibilité de distinguer la réalité de la fiction...
Une fois ma lecture terminée, je me suis retrouvée avec de nombreuses questions : Sarah Ponsonby a-t-elle existé ? Violette a-t-elle été violée par le jardinier du couvent ?... J'espérais trouver en fin d'ouvrage une note de l'auteur permettant de savoir ce qui relevait de la réalité ou de la fiction, mais rien de tel.
Dans ce type de roman (roman biographique) et surtout avec ce type de personnage complexe, une préface ou une postface explicative me semble indispensable. En écoutant la fiction qui a été consacrée à Violette Morris sur France Inter et écrite par Gérard de Cortanze, j'ai alors appris que le personnage de Sarah Ponsonby n'existait pas ! Cela m'a beaucoup troublée, car ce personnage est au centre de la vie de Violette dans ce roman et il est même impliqué dans le chantage qu'exercent les Nazis à l'encontre de Violette. Alors, que penser ?
Ainsi, ce roman ne m'a pas permis de me faire une opinion tranchée sur Violette Morris, c'est pour cela que j'ai très envie d'approfondir la question en lisant la biographie de Marie-Jo Bonnet. Une chose est sûre : Violette Morris était un sacré personnage, une femme libre, indépendante, dotée d'un fort caractère et d'un physique hors norme, parfois insolente et provocante, toutes choses que la société française d'alors ne pouvait accepter. Mais derrière ce portrait tout en force et en énergie se cache une blessure, celle de ne pas avoir été aimée par ses parents, celle d'avoir été rejetée par la société française… Certes elle a collaboré, mais il n'existe aucun document prouvant son implication dans des séances de torture rue Lauriston ou un quelconque zèle en matière de collaboration ; j'ai la sensation qu'elle a profité de la situation sans se poser de questions. Même s'il est difficile de se débarrasser de l'image de "hyène de la Gestapo" qui lui colle à la peau tant elle est ancrée depuis de nombreuses années dans notre imaginaire, je retiens de ce roman le beau portrait d'une femme libre et d'une grande sportive, très en avance sur son temps, et celui d'une société corsetée et misogyne, très violente à l'égard de celles et ceux qui prétendent vivre autrement. En tout cas, grâce à ce roman, Violette Morris est enfin sortie de l'ombre...
"Violette, qui avait tant gêné quand elle était en vie, semblait gêner davantage encore une fois morte. Sa disparition posait tellement de questions sans réponses. Pourquoi s'était-elle crue mieux reconnue dans son identité de femme libre par le régime de Vichy, voire par l'Allemagne des Jeux de Berlin que par la République française ? Pourquoi, elle qui incarnait des valeurs en tous points opposées à l'idéologie fasciste et au dogme pétainiste de la femme au foyer, de la rigueur morale, de la natalité, avait-elle pu circuler en pleine liberté dans un pays opprimant les femmes ?"