Une vieille retrouvaille que cette trilogie "Histoire des Treize" qui comporte trois courts romans : "Ferragus Chef des Dévorants", "la duchesse de Langeais" et "la fille aux yeux d'or".
Ces Treize sont une intrigante société secrète dans lesquels treize hommes sont soit des révoltés, soit des corsaires, soit des gens en rupture de ban qui ont choisi leur zone d'action dans Paris. On retrouve ce genre de concept à la mode au XIXème dans "les Mystères de Paris" d'Eugène Sue.
Sauf que chez Balzac, ne seront dévoilés au lecteur que quatre membres de cette étrange confrérie. Dans Ferragus, on aura affaire à Ferragus et Ronquerolles, dans les deux autres tomes, de Marsay et Montriveau et encore Ronquerolles. Ce sont des gens qui ne vivent pas en marge de la société. Ils y ont un rôle occulte. Ils se substituent aux lenteurs d'une administration bornée et n'hésitent pas à faire justice quand cela s'avère nécessaire. Balzac ne les rend pas antipathiques pour autant et n'hésite pas à marquer une certaine bienveillance sur le bienfondé de leurs actions malgré leur férocité lorsque leur existence ou leur ordre sont menacés.
En "postface" de Ferragus, Balzac s'explique dans une belle pirouette pourquoi il n'ira pas au-delà des trois histoires des Treize, qui seront seules publiées :
"Quant aux autres drames de cette histoire, ils peuvent se conter entre onze heures et minuit ; mais il est impossible de les écrire."
Mais revenons à ce roman qui décrit une scène qui va progressivement se transformer en un véritable drame qu'on ne voit pas vraiment venir au départ.
Le roman commence par la superbe description d'un Paris miséreux qui plante un décor dans lequel évoluent une dame de la bonne société qui n'y semble pas à sa place et un officier aristocrate qui semble y reconnaître une femme qu'il aurait bien accroché à son tableau de chasse. Or Balzac nous décrit la femme, madame Jules, comme une épouse modèle, amoureuse de son mari et l'officier, Maulincour, comme une espèce haïssable du jeune blanc-bec, bien en cour, jaloux du bonheur des autres, qui pense qu'il va enfin pouvoir faire pression sur cette femme, pour la faire chuter et en profiter.
J'ai aimé retrouver les traces de l'angoisse ressentie quand j'avais lu le roman à l'adolescence lorsque je voyais l'injustice de ce filet qui allait petit à petit étouffer et détruire cet amour partagé entre Mme Jules et son mari. Il est vrai que dans la bonne société balzacienne et parisienne, rares sont les épouses et les époux fidèles. Alors quand Balzac nous laisse entrevoir que la fidélité ou l'amour vrai, ça peut exister, on enrage de voir le destin s'acharner.
Le roman est un magnifique portrait de femme écartelée entre son amour et son devoir autour de laquelle la tragédie va inexorablement prendre place.
Mais c'est aussi une enquête policière dans laquelle la police n'ira ou ne pourra pas sonder jusqu'au bout la recherche de la vérité tellement les contre-pouvoirs semblent puissants. C'est bien entendu la puissance occulte de ce personnage Ferragus qui se métamorphose d'un état d'ancien forçat en celui d'un diplomate portugais, dégagé de tout soupçon. Ce n'est pas d'ailleurs sans rappeler le personnage de Collin qui deviendra le prélat espagnol Herrera en passant par l'étape Vautrin dans "le père Goriot"
De même, le destin de Ferragus n'est pas sans rappeler non plus le destin de Chabert. Et que dire de la surprise de Jules sinon qu'elle fait penser à l'effroi de Derville lorsqu'il découvre la déchéance de Chabert. La vertu n'est pas souvent récompensée chez Balzac.