Bonjour à tous, on continue la sélection avec Feu, de Maria Pourchet
Résumé : Laure, prof d’université, est mariée, mère de deux filles et propriétaire d’un pavillon. À 40 ans, il lui semble être la somme, non pas de ses désirs, mais de l’effort et du compromis.
Clément, célibataire, 50 ans, s’ennuie dans la finance, au sommet d’une tour vitrée, lassé de la vue qu’elle offre autant que de YouPorn. Laure envie, quand elle devrait s’en inquiéter, l’incandescence et la rage militante qui habitent sa fille aînée, Véra. Clément n’envie personne, sinon son chien.
De la vie, elle attend la surprise. Il attend qu’elle finisse.
Ils vont être l’un pour l’autre un choc nécessaire.
Saisis par la passion et ses menaces, ils tentent de se débarrasser l'un de l'autre en assouvissant le désir… Convaincus qu’il se dompte.
Dans une langue nerveuse et acérée, Maria Pourchet nous offre un roman vif, puissant et drôle sur l'amour, cette affaire effroyablement plus sérieuse et plus dangereuse qu’on ne le croit.
Avis : C’est possiblement le prix Goncourt 2021. Le livre doit s’enrichir à la deuxième lecture, à la troisième, et ainsi de suite. On sent que tout ne nous est pas dévoilé. Le début s’ouvre avec beaucoup de répétitions, qui donne une littérature clipesque (oui clipesque, je ne savais pas que c’était possible pour un livre) ; quelque chose d’épileptique, comme stroboscopique (surtout le point de vue de Clément, ce qui résume bien l’aliénation d’une journée de travail « Défense, badge, tourniquet, ascenseur, trente-cinquième étage, c’est quoi cette odeur. C’est moi, pas eu le temps de me laver, bienvenue dans la suite d’une journée à se défénestrer, bonjour Sybille, couloir, encore trente mètres pour atteindre l’Espace direction »). C’est donc une littérature de la fragmentation et du détail. Chaque phrase recèle une histoire en elle-même. Comme regarder dans un miroir brisé ce qui se reflète dans notre dos. On est déstabilisé par les phrases hachées, les changements brusques de cadre (moi, j’adore être perdue). On se sent un peu con parfois, comme quand on parle avec quelqu’un de plus intelligent, ou de plus cultivé, qui s’adresse pourtant à nous comme si on était au même niveau. On se sent dans la confidence, c’est précieux.
La narration se dédouble. D’abord, le tu quand c’est le point de vue de Laure, qu’on peine à situer. On comprend qu’elle se parle à elle-même, c’est le tu dédaigneux que seuls nous-mêmes pouvons nous adresser. Et on s’aperçoit vers un tiers du livre que Clément aussi s’adresse à un « tu », qui n’est pas Laure. Et immanquablement, on se demande si ces deux « tu » vont se rejoindre. Quand on comprend qui est ce « tu » canin, un sourire ne peut s’empêcher de poindre sur nos lèvres. Un témoin muet, incapable de juger. Le meilleur ami qu’on puisse avoir. Ce qui est intéressant, dans ce jeu de point de vue, c’est que l’autre parvient à voler des vérités qu’on se cache à soi-même, et même parfois, à esquisser un portrait plus juste, plus équitable. Clément est cynique quand il parle de son chien, Laure nous apprend qu’il l’a recueilli dans une gare. Ce confident symbolise bien leur relation : Clément se dépeint comme un salaud, là où Laure le perçoit avec plus de tendresse. Le tu et le je se confondent et nous éclairent sur ce jeu de dupes qu’on met tous en place : le récit qu’on se raconte sur nos propres vies.
Ça me fait penser à une oeuvre : car, comme les histoires d’amour, en général, finissent mal, le ton s’aggrave. J’ai pensé tout simplement (et si vous me connaissez un peu, vous saurez le compliment que je fais à l’autrice) à Solal et Ariane dans Belle du Seigneur. Surtout ces points de vue qui alternent, ces phrases fragmentées (qui parle ? à qui ?) ; et Clément, qui travaille dans la finance (notre ennemi à tous devant l’éternel), qui décoche flèche après flèche contre les babouineries de ceux qui l’entourent (et les siennes propres). Et Ariane/Laure, la beauté de l’essoufflement : « Premier acte, aucun baiser sur tes cheveux parfumés, aucun regard croisant le tien. Tandis que l’avant-dernier Médicis insulte sa race de dégénérés, tu souffles je t’aime, trois fois. Et lui :
— Oui.
Comme on dit chut. »
Donc un très bon cru, que je vous recommande.