Autant le dire tout de suite, mieux vaut être familier de l’œuvre de G.R.R Martin pour apprécier Feu et Sang. Conçu comme un préquel, voire une encyclopédie du monde, il s’adresse avant tout aux fans souhaitant approfondir l’univers du Trône de Fer. Celui-ci pourtant, ne manque ni de complexité, ni de profondeur. On peut comme moi lire et relire les cinq tomes de la saga en trouvant toujours de nouveaux détails passionnants. Alors pourquoi ce préquel ? Il faut sans doute y voir une sorte de « récréation artistique » pour un auteur qui peine à terminer sa saga. Bien sûr, il faut pour cela admettre qu’écrire un millier de pages et rallonger à l’infini des arbres généalogiques déjà labyrinthiques soit une récréation ! Mais c’est ainsi que je le perçois.
La lecture est en tout cas plaisante. Prenant la forme d’une chronique, elle retrace l’histoire de la dynastie Targaryen de la conquête d’Aegon à la mort d’Aegon III, environ un siècle et demi plus tard. On y retrouve le cocktail qui a fait ses preuves dans les livres comme dans les séries : pouvoir, sexe et violence, avec tous les mélanges et dosages possibles entre ces trois thèmes. Les péripéties faites de successions difficiles, de trahisons douloureuses, de guerres et d’épidémies dévastatrices s’enchaînent allégrement et permettent d’affirmer que dans ce monde (comme dans le nôtre d’ailleurs), ce n’était vraiment pas « mieux avant ». Malgré cet air de déjà vu donc, le livre apporte des thèmes nouveaux qui enrichissent notre compréhension de l’œuvre de G.R.R Martin. Les dragons occupent une place primordiale alors qu’ils sont absents au début du Trône de Fer. Dans Feu et Sang, on mesure à quel point ce sont de véritables armes de destruction massive, capables à eux seuls de renverser le cours d’une guerre. La capacité surnaturelle des Targaryens à les contrôler leur permet d’imposer à tout Westeros des dirigeants étrangers aux mœurs réprouvées (polygamie et mariage incestueux). D’ailleurs, la question de l’acceptation de l’inceste pour cette famille (et elle seule) est particulièrement bien traitée dans le livre, venant éclaircir un point laissé sous silence dans la saga originelle. A la lecture, on mesure tout ce qu’a coûté aux Targaryens la terrible « Danse des Dragons » retracée dans la nouvelle série HBO. En causant la mort de presque tous les dragons de la dynastie, cette guerre fratricide la privée du fondement même de sa légitimité. On réalise que les jours de la maison étaient comptés, et ce bien avant que la rébellion de Robert Barathéon ne vienne y mettre un terme.
Pour ce qui est de la forme, Feu et Sang est nettement moins ambitieux que son grand frère. Exit le roman choral où l’on vit l’histoire à travers le point de vue de différents personnages, grande force de la saga originelle. Dans le Trône de Fer, on était plongé dans les évènements à « hauteur d’homme », ayant les mêmes informations qu’eux, comprenant leurs motivations les plus intimes, nous surprenant à nous attacher à des personnages qu’on haïssait quelques chapitres auparavant. La forme de chronique historique de Feu et Sang impose forcément une façon plus détachée d’appréhender les évènements. Les motivations profondes des personnages nous restent inconnues. On y perd donc un peu. Cependant, G.R.R Martin joue avec brio avec cette autre forme narrative. Le narrateur, un maestre vivant bien après les évènements, entreprend d’écrire une histoire de la maison Targaryen à partir de plusieurs « sources » qu’il compare, commente et critique. Il n’hésite pas à donner plusieurs versions d’un même évènement et à faire état des rumeurs et des ragots même pour les rejeter. De ce fait, il montre à quel point il est difficile de connaître la vérité des faits alors que les sources sont partielles et partiales. Un vrai hommage à la méthode historique ! Ayant moi-même fait des études d’histoire, j’y ai été très sensible. Cela apporte aussi un certain mystère aux évènements. Le lecteur, n'ayant pas toutes les réponses, est libre de s'imaginer la version qu'il préfère.
Pour résumer, Sang et Feu est une très agréable addition à l’univers du Trône de Fer, illustrée magnifiquement, ce qui ne gâte rien. Si par quelque miracle vous avez échappé aux deux séries et aux livres, ne commencez pas par-là ! Dans le cas contraire, vous aurez le plaisir de découvrir de toutes nouvelles parties du jeu des trônes.