Pirandello est passionné par les vertiges de l’identité : que signifie être soi, est-ce un état durable et insoluble ou peut-on changer et devenir un autre, peut-on usurper une identité ou être remplacé…? Feu Mattia Pascal propose un cas pratique avec l’histoire d’un homme désespéré par une vie dans laquelle il n’a rien pu choisir, et qui profite d’un étonnant malentendu - un cadavre que l’on prend pour lui, faisant croire à son suicide - pour se réinventer.
Devenu Adriano Meis, feu Mattia Pascal fait l’expérience pour la première fois de la liberté. Mais n’être personne comporte aussi quelques inconvénients, et pas seulement administratifs : la solitude et la perte de repères guettent celui qui ne peut, à aucun moment, relâcher la comédie qu’il joue dans le monde.
Les problèmes que soulève Pirandello dans Feu Mattia Pascal, et qu’on peut rapprocher d’autres de ses œuvres sur des personnages en crise d’identité (Comme tu me veux ou Un, personne et cent mille par exemple), sont évidemment passionnants, et traités avec une fantaisie le plus souvent réjouissante : le traitement réservé aux personnages qui entourent Pascal dans les étapes successives de sa double vie relèvent d’une satire particulièrement fine et relevée de la bourgeoisie italienne.
Le revers de cette fantaisie est, par moments, un léger manque de tenue : l’histoire de Mattia Pascal a tendance à partir un peu dans tous les sens, au gré de ses rencontres avec des personnages divers, et manque de l’élégance formelle que Pirandello développe un peu plus tard dans son théâtre. Il n’en reste pas moins un témoignage important de l’évolution de la perception de soi à l’aube du XXe siècle, évolution marquée par les débats sur l’âme suscités par la mode du spiritisme, centrale dans la deuxième partie du roman, et par l’émergence, déjà perceptible ici de manière diffuse, des théories freudiennes.