Puisqu’il invite à parler de « figures », commençons déjà par lui reconnaitre ça : oui Frédéric Lordon – à lui tout seul – EST déjà en soi une figure du communisme contemporain.
…Une figure à connaître, ne serait-ce que pour parfaire sa culture personnelle.
Car l’air de rien l’homme est loin d’être un obscur théoricien tapi dans l’ombre, bien au contraire.
Bien qu’il s’en défende, Frédéric Lordon est quelqu’un qui ne fuit pas la lumière.
Découvert pour ma part en 2009 dans ce très bon documentaire de France 2 intitulé « La mise à mort du travail », Lordon ne rechignait pas non plus à l’époque à passer de temps en temps chez Taddei quand ce dernier lui demandait.
Multipliant les conférences diffusées ensuite sur YouTube, omniprésent lors du mouvement social des « Nuits debout » en 2016, Lordon est quelqu’un qui pèse ; attire le regard et l’attention.
L’homme a un phrasé ; le sens de la formule et du décalage…
…Mais jamais jusqu’à présent je n’avais eu l’occasion de me confronter à un de ses ouvrages.
C’est donc désormais chose faite avec ces « Figures du communisme »…
…Une lecture qui m’a permis de clarifier le regard que je porte sur l’homme.
Car oui, quand bien même je me suis confronté à un certain nombre de ses conférences, que j’ai suivi assidument ses passages chez Taddei et que j’ai vu et revu l’épisode de « Mes chers contemporains » qui lui était consacré que le personnage de Frédéric Lordon m’échappait alors encore.
Pire, c’était au fond sa pensée qui m’échappait.
J’entendais les critiques qu’il faisait à l’encontre des positions de Thomas Piketty, de même que je constatais les amendements qu’il apportait à la pensée de Bernard Friot mais – quand bien même je trouvais ces dernières fondées – que je n’arrivais toujours pas à me figurer (justement) la pensée de Frédéric Lordon lui-même.
Car écouter Lordon c’est certes écouter un homme qui sait parler – qui sait conduire son propos – mais qui parfois nous conduit trop bien au point qu’on est parfois contraint de s’en remettre à lui sans discuter.
Face à de l’écrit, le rapport change.
On lit à son rythme. On peut annoter. On peut se renseigner…
En d’autres mots : on peut poser la pensée.
Or que cachent vraiment les « figures » de Lordon sitôt les pose-t-on à plat sur du papier ?
Etonnamment, parcourir les premières pages ne m’a pas vraiment éclairci l’esprit.
Pourtant on ne pourra pas reprocher à l’économiste atterré d’être opaque dans son style comme dans la finalité de son propos.
Au contraire, l’ouverture a même ce grand mérite de la limpidité.
« En réalité, c’est simple. Nous savons maintenant indubitablement que la manière dont nous avons vécu –la manière capitaliste – mène au désastre général. Par conséquent, nous devons en changer. Entièrement. »
Pourtant, passé le prologue, puis l’introduction – voire même les deux premiers chapitres – l’impression de ne pas en voir davantage s’installe.
C’est certes toujours bien écrit, mais le constat s’étale.
Le capitalisme est la cause première et exclusive de la catastrophe écologique qui couve. OK.
Donc le capitalisme est ce qui est en train de tuer l’humanité. D’accord.
Aujourd’hui il apparait comme évident que le capitalisme est incapable de se réformer, modérer, réparer… Donc il faut acter le fait que le capitalisme est par essence le problème et que vouloir sauver l’humanité c’est donc vouloir le détruire lui. Là aussi, je suis l’idée.
Mais pourquoi cette impression que les soixante premières pages (tout de même) ne vont pas plus loin que ça ?
En reparcourant rapidement l’ouvrage pour les besoins de ce billet, cette impression contradictoire se maintient : d’un côté l’impression que le propos n’est pas vain, mais de l’autre ce drôle de sentiment qu’on ne va pas loin.
Du coup j’observe à nouveau. J’ausculte. Et je regarde de quoi sont faites ces pages.
Ici on conspue les éditorialistes vendus à la cause capitaliste.
Là on moque (plus d’une fois) Le Monde qui se drape derrière un vernis d’écologie pendant qu’il continue en parallèle à soutenir les modes de vie d’aujourd’hui.
Et puis plus loin on ne manque pas de railler Alain Minc ou de rappeler à quel point Thomas Piketty n’a pas compris grand-chose à la situation (…quand bien même ne nous expliquera-t-on jamais vraiment pourquoi.)
…Et là apparait soudainement à l’écrit un Lordon que je connaissais déjà à l’oral.
Un Lordon habile avec les mots, indubitablement.
Un Lordon critique, acerbe et tranché. A n’en pas douter.
Mais un Lordon qui se perd un peu.
L’homme a des comptes à régler. Il enchaine les salves. Il se soulage…
…Mais il oublie de se justifier. Peut-être n’estime-t-il même pas la chose nécessaire…
Chaque pique est lâchée là, comme une simple parenthèse. Mais cette parenthèse finit par enchainer sur une autre, à tel point que le raisonnement s’en retrouve réduit à faire du surplace.
A bien tout prendre, toute la première partie du livre (qui en compte trois) ne va guère au-delà de ça. C’est un simple constat dressé, mais rien de plus.
Je ne dis pas que c’est désagréable à lire – pas plus que je dirais ne pas me retrouver dans ce qui est dit – mais à bien tout prendre : à quoi bon ?
Un constat, ça n’a d’intérêt que si ça permet d’assainir une base de raisonnement. Et une base n’est assainie que par le pouvoir implacable d’une démonstration nourrie.
Or, là, dans ces « Figures du communisme », pas de chiffre. Pas (ou peu) de sources. Parfois même peu d’explications, comme si tout ça devait aller de soi.
On évoque l’expérience Lip, la pensée d’Agamben ou le municipalisme de Bookchin mais on ne daigne pas expliquer de quoi il s’agit. Tout est dit comme si on n’avait pas besoin d’expliciter – qu’on parlait entre initiés – ce qui m’amène du coup forcément à poser cette question : quel intérêt à cette partie ?
Si elle s’adresse aux avertis – ceux qui savent – à quoi bon s’étaler pendant une presque centaine de pages ; à chercher à convaincre des convaincus ?
…Si par contre le but est de chercher à convaincre ou à apporter une contradiction solide, pourquoi se priver d’une démonstration rigoureuse, chiffres à l’appui ?
(Et Lordon aura beau critiquer Piketty que ce dernier, au moins, accepte de se livrer à l’exercice, quitte à ouvrir le flanc à la critique.)
Me concernant donc, il m’a fallu attendre la deuxième partie pour enfin trouver dans ces « Figures du communisme » de quoi alimenter ma réflexion.
Là enfin, on sort de la simple posture anti-capitaliste pour rentrer dans une démarche de proposition politique : une proposition « communiste ».
Or, qu’est-ce que le communisme selon Lordon ?
Eh bien le communisme selon Lordon c’est d’abord le communisme de Bernard Friot…
…Ou plus exactement le communisme de Bernard Friot critiqué par Lordon !
Etrange lecture que celle qui consiste à voir l’économiste atterré reproduire ce que je pouvais lui reprocher lors de ses interventions en public.
Alors oui Lordon explique qu’il n’aime pas le terme de « salaire à vie » et qu’il lui préfère celui de « garantie économique générale » car ça lui permet de ne pas utiliser le terme « salaire » qui s’ancre trop selon lui dans la sémantique capitaliste (quand bien même reconnait-il que dans le principe le salaire de Friot s’en détache totalement)…
De même, il liste les limites d’une telle théorie, notamment le problème lié au conventionnement qui fait le pari – discutable selon Lordon – d’espérer gagner du terrain progressivement – ou bien encore celui de la question du « qui fait quoi », posant notamment la question des « corvées » sociales…
Et si là encore Lordon a le mérite d’apporter des solutions – notamment l’obligation pour tous de se plier aux tâches sans qualification par roulement ou bien la mise en place d’un reversement différé du salaire pour éviter la violente inflation qu’impliquerait l’instauration du salaire à vie – cette seconde partie n’est pas parvenue pour autant à lever pleinement chez moi le problème ressenti depuis le début de ma lecture.
Parce que l’air de rien cette partie fait 90 pages…
…Et j’avoue que la manière dont celles-ci ont été noircies par l’auteur m’intrigue fortement.
Je ne comprends clairement pas le rapport que Lordon a vis-à-vis de l’effort pédagogique.
Dès fois il te plie des points très techniques en une page ou deux quand ce n’est pas en une ou deux lignes et d’autres fois il se perd en longueur sur des choses élémentaires ; voire presque sur du rien.
J’en veux pour exemple ce moment où il aborde la question de ces salaires dont il faudrait réguler le versement. En quelques pages on enchaine une démonstration rapide – passant par des termes techniques très brièvement expliqués comme « comptes custodian » ou comités « Corralitos », ce qui – pour un non-économiste comme moi – constitue soudainement un effort d’attention soutenu et des relectures multiples…
…Mais à l’inverse, quand il s’agit de parler du concept assez transparent de « division du travail », Lordon s’étale sur la question pendant des pages entières pour apporter toute une série de précisions – entrecoupées de références historiques non-explicitées et de piques adressées aux journalistes du Monde et de Libé – si bien qu’en bout de course j’ai eu la sensation que rien de signifiant n’avaif été dit, ou alors que l’importance de ces précisions m’avait totalement échappée.
Malgré tout cette seconde partie présente au moins le mérite d’avancer quelque-peu sur le terrain des propositions ; de la projection…
…Ces fameuses « figures » qu’on attend de voir se dessiner dans nos esprits.
Et d’ailleurs c’est sur la fin de cette deuxième partie que – pour ma part – l’attrait que j’ai eu pour cet ouvrage a été le plus vif.
Car après avoir esquissé les (très) vagues contours du monde post-capitaliste, Lordon en arrive enfin à questionner le cheminement politique à mener.
Comment s’y prendre ?
Et c’est encore une fois dans l’analyse critique de la posture des autres que Lordon se met à exceller le plus.
Or, là, c’est à la vision des socio-démocrates qu’il s’en prend ; et notamment à cette idée que la sortie du capitalisme saurait se faire en douceur dans le cadre de la démocratie représentative.
Sur ce point Lordon a le mérite d’offrir une projection avertie.
Il explique notamment comment le monde de la finance risque de réagir en cas d’accession au pouvoir d’un gouvernement vraiment réformateur.
Il explique comment les places boursières pourraient faire s’écrouler les capacités d’emprunt de l’Etat, notamment en faisant chuter la valeur de leurs bons sur les marchés obligataires en lançant une vente massive.
Asphyxié, l’Etat serait alors contraint à l’abandon ou bien à une lutte qui l’isolerait internationalement, le fragmenterait socialement, et l’exposerait à des ingérences extérieures.
Pour appuyer son propos, Lordon évoque l’exemple de la Grèce de Tsipras, de 1848 et de la Commune.
Sitôt a-t-il posé cette projection dans la balance que Lordon est parvenu à subitement (re)capter mon intérêt.
Avec ça, on rentre dans le pratique. Dans le concret.
On pense le réel. On n’élude pas des problèmes. Au contraire on en pose…
…Tout ça avant une troisième partie qui entend justement questionner plus largement la mise en action.
Autant dire qu’à ce moment de ma lecture, je salivais déjà…
…Sauf qu’en fait – encore et toujours – Lordon est malheureusement resté Lordon.
Car cette troisième partie n’a (malheureusement) fait que confirmer l’image que je me faisais préalablement de l’homme, avant d’avoir ouvert cet ouvrage.
Avec ce troisième acte, la stratégie de l’évitement reprend.
On s’attarde sur le Chili de 73 et sur Salvador Allende pour illustrer à nouveau la démonstration de fin de partie précédente ; puis on se met à parler pêle-mêle de Benalla et d’Alain Minc tout en citant tantôt Trotski, tantôt le Gorafi…
Les chapitres s’enchainent et, après tant de virulence à l’égard des internationalistes inconséquents, des socio-libéraux naïfs et des gazelles pudibondes du Monde, Frédéric Lordon peine à dessiner sa solution.
Il le fait péniblement, en creux.
…Et c’est franchement décevant.
C’est décevant, parce qu’après autant d’assurance pour dénigrer les solutions des autres, voir Lordon lambiner pour nous dévoiler ses solutions fait un petit peu pschitt.
D’abord il nous dit qu’il serait inconvenant d’agir à trop petite échelle, mais qu’il ne faudrait pas non plus que l’échelle soit trop grande.
Ensuite il appelle à des fédérations, mais tout en précisant que c'est une idée qui, au fond, ne change rien à la nature du problème.
Enfin il fustige le « socialisme dans un pays » mais reconnait qu’il va bien falloir que ça parte de quelque-part quand même…
A force d’annuler les possibles, Lordon en vient à déboucher sur une solution qu’il n’ose à peine nommer comme pour éviter de se rendre ridicule…
En gros Lordon attend que ça pète un peu partout en même temps…
Oui – sans oser le dire trop ouvertement pour éviter de se faire railler – Lordon attend en fait le fameux Grand soir.
Franchement tout ça pour ça ?…
…Ça valait bien la peine de conspuer la naïveté et l’inaction des autres.
Ainsi, tel un prestidigitateur qui s’efforce de maintenir l’illusion après un tour raté, Lordon s’écroule dans un dernier chapitre assez consternant, dans lequel il mobilise tous les vices afin de masquer la fébrilité de son offre.
Durant trente longues pages, au milieu de parenthèses superflues, de précisions sémantiques peu signifiantes et d’un vocable inutilement soutenu (grâce à lui j’ai découvert ce qu’était un « nexus » ou bien encore une « forclusion »), voilà que s’échafaude péniblement l’idée que la grande solution se trouverait dans une forme de convergence des luttes qui ne serait pas la convergence des luttes.
Il faudrait une « égalisation qualitative » des différentes luttes ; une mise à plat afin que, par effet d’addition, se constitue une masse critique susceptible d'opérer la grande bascule à révolution.
Et voilà comment Lordon se retrouve soudainement à faire feu de tout bois, abordant les questions de l'antiracisme, du décolonialisme, du féminisme, cherchant à lier tout ça dans un appel à l’égalisation des causes pour qu’elles puissent s’additionner…
Et sitôt avance-t-il cela que le Lordon tatillon disparait soudain.
Les difficultés rencontrées, les problèmes posés, les querelles à dépasser ne méritent ici pas l’attention du bon Frédéric.
A la question du « comment ? » et du « jusqu’ou ? », le chercheur du CNRS botte en touche.
Il se contente comme seul élément de solution– telle une évidence qui ne mérite pas qu’on s’y attarde – de renvoyer à Houria Bouteldja qui « par exemple, fournit une réponse à la fois profonde et caractéristique, ouvrant par là une base idéale à la discussion. » (p.219)
Quelle est cette base idéale ? Lordon n’en dira pas plus.
A quel ouvrage d’Houria Bouteldja Lordon fait-il référence pour qu’on puisse se documenter ?
« Pouvoir politique et races sociales » nous dit l’annotation…
Je vois…
Je sens déjà la synthèse antiraciste, féministe et communiste émaner d’un article portant un tel titre…
Non mais voilà quoi…
Tout pourrait tenir en ça.
Tout pourrait tenir en cette seule référence : Houria Bouteldja.
Histoire de ne pas ouvrir ici un débat dans le débat, je me contenterais simplement de questionner ici la manière dont Lordon pose Houria Bouteldja comme une « figure du communisme » qui ferait synthèse.
Moi je considère qu’au contraire, elle est plutôt du genre à cristalliser les divisions au sein du mouvement social, que ce soit aussi bien au sein du courant antiraciste, que du courant féministe et encore plus au sein de ce courant de pensée qu’est le communisme !
Comment Lordon peut-il se satisfaire de nous laisser avec seulement ça comme seule solution à sa fameuse mise en action ?
On creuse ?
On en discute ?
On se montre critique ?
Non, pas dans « Figures du communisme ».
On s’en tiendra visiblement à ça. A Houria Bouteldja.
Si je résume donc l’ouvrage : le capitalisme doit tomber. Les solutions apportées jusqu’à présent sont amendables et critiquables. Mais une voie s’offre à nous : c’est celle du Grand soir derrière Houria Bouteldja.
Mouais…
Comment dire…
« Merci d’avoir essayé Frédou » ?…
Au moment d’arriver à la conclusion de cet ouvrage, pour moi, la messe était définitivement dite.
Ces mots qu’y écrit Lordon y sont d’ailleurs lourds de sens.
Il y dit qu’ « on ne se raconte pas trop d’histoires quand à la force politique réelle des mots – les armes de la critique, la critique des armes, etc. Les mots cependant sortent de leur inutilité si, par leur pouvoir de figuration, ils servent à l’affûtage. » (p.253)
Pour ma part, la seule chose que je suis parvenu à me figurer grâce à cet ouvrage, ce n’est pas le communisme. Ce n’est pas la lutte.
C’est plutôt Frédéric Lordon.
« Figures du communisme » ne dit rien de l’économiste qu’il est – sûrement brillant – mais dont il n'est au fond pas question ici. Ça, non.
Dans les faits « Figures du communisme » nous renseigne davantage sur ce qu’est Frédéric Lordon en tant que communiste ; en tant que penseur et homme politique.
Lordon sait déconstruire. Il sait analyser. Il sait critiquer. Mais le fait est qu’il ne sait pas proposer.
Pire que ça il ne sait pas transformer son verbe prolixe en action prolifique.
Par bien des aspects, Lordon me rappelle Usul et tous ces camarades de fac encartés à l’UNEF et à Sud étudiants.
Sa formation politique, il se l’est faite entre les quatre murs de l’université ou bien autour d’un four artisanal fabriqué à l’arrache sur une zone de blocus.
Ça parlait de Trotski – qui était un vrai, lui – des gouvernements de Catalogne et de Nestor Makhno… Toutes ces belles figures qui n’ont pas eu le temps de durer pour être suffisamment éprouvées.
En est ressorti de la pensée emmurée qui permet d’emballer de la camarade en soirée ; de la pensée idéelle et fragmentée sur laquelle on peut greffer toutes ces causes qui appellent à la déstructuration de l’ordre bourgeois : qu’il s’agisse de celle des LGBT++++ ou bien de celles des Black Panther Party et tous leurs petits…
…En d’autres mots, de la pensée qui résiste difficilement à la lumière du jour et à l’air de l’extérieur.
Et quand je dis cela je n’entends pas balayer Lordon d’un revers de la main : entendons-nous bien.
Lordon a beau être un penseur d’intérieur qu’il n’en reste pas moins un penseur utile.
Le mouvement social a besoin de critique interne et notamment de critiques pertinentes, ce que Lordon est capable de fournir.
Je suis d’ailleurs loin de tout jeter de ces « Figures du communisme ».
Ses critiques apportées sur le « salaire à vie » de Friot méritent à mon sens d’être prises en compte pour affiner le modèle.
De la même manière, je considère que son analyse des obstacles posés à la révolution sociale me semble totalement sensée, au point qu’on se doit de la garder à l’esprit sitôt est-on impliqué dans une dynamique de lutte.
Seulement, là où Lordon excelle pour déconstruire, il patine sitôt s’agit-il de bâtir.
Et d’une certaine manière ce livre parvient à illustrer et expliquer ce qu’est Frédéric Lordon en place publique.
Il a certes l’esprit affûté mais tout en sachant son pouvoir d’action bridé.
Il lui a suffi de se retrouver sur une estrade à Amiens – cherchant à haranguer la foule laborieuse – pour se rendre compte qu’il était inopérant hors de ses murs.
Ainsi la table de conférence devient le ring de la vengeance car en son antre – et pour la critique – il n’a pas son pareil.
Cette aigreur le stimule et le rend incisif.
Mais c’est aussi elle qui l’abaisse et stérilise ses capacités à penser le geste.
De là ne lui reste plus que le don pour l’escarmouche pour triompher.
Celui du bon mot, celui du mot savant…
…Un talent au fond bien réducteur et infécond.
Si Lordon devait être une figure, il serait celui d’une limite.
La limite posée par l’ego qui ne supporte pas d’avoir à quitter son cadre confortable de la pensée hors-sol.
Et face à cette figure – édifiante – je pense justement qu’un certain type de communisme doit se questionner.
Pour reprendre les mots de Lordon, les mots sortent de leur inutilité sitôt, par leur pouvoir de figuration, ils servent à l’affutage.
Seulement le moment semble venu pour Lordon et les siens d’interroger leur art de la figuration.
Que figurent-ils exactement ?
Et à qui destinent-ils ces figures ?
Si ces dernières n’embrasent pas les foules sitôt sont-elles prononcées sur une estrade picarde, c’est peut-être que celles-ci manquent de relief.
C’est peut-être qu’autant que la masse a besoin d’être affutée par les mots du penseur, le penseur lui-même se doit d’être affûté lui-même.
Affûté par l’autre.
Affûté par les autres penseurs mais aussi par cette masse à qui ces mots s’adressent.
Ce n’est qu’au prix de cet effort que, peut-être un jour, certaines figures du communisme pourront prendre du relief…
…Et un jour – qui sait – enfin prendre vie.