"Une fille n'est-elle vraiment qu'un garçon amputé ?", c'est la question que je me suis posée* au début du livre.
( dites, au passage, vous êtes d'accord, sur cet accord ? Alors jetez un œil en haut de la page 156 : "il t'a fait remplir une décharge de responsabilité, qu'il t'a regardé signer". On parle à une femme, ne faut-il pas accorder ? Donc "regardée" ? Avis aux correcteurices de NRF. Tiens j'ai fait de l'inclusifve).*
Car ça commence un peu lourdement sur ces multiples comparaisons voulant démontrer qu'avoir une fille ne serait qu'une suite d'expériences négatives, puisque systématiquement comparées à l'heureux événement d'avoir un garçon.
Prenez patience, continuez votre lecture et une fois passée cette étape, d'ailleurs tout à fait crédible dans l'époque (1959), l'histoire de cette fille sera attachante, intéressante et instructive sur les changements déjà intervenus en 50 ans dans la société française, même si, nous sommes bien d'accord, le chemin est encore long.
Par ailleurs, c'est aussi un livre à lire pour les amoureux de la langue. Quelle dextérité dans l'écriture, allant jusqu'à des jeux de mots que Raymond Devos n'eut pas renié, quelle agilité dans le maniement du "tu, du "je" et du "elle", pour parler de la même personne mais avec des angles de vue différents.
Je suis d'accord que grandir en tant que fille dans les années 60 et 70 a été une expérience comme "amputée" par rapport à celle des garçons : il y avait encore beaucoup de choses interdites aux filles. Ceci dit, déjà plus que dans les générations précédentes, et moins que dans les suivantes. On progresse, mais certes pas assez vite, il faut continuer à appuyer partout où la comparaison fait mal.
Si je puis me permettre une suggestion à l'auteure ou tout autre personne qui voudra s'attaquer au sujet, à quand un version "Garçon", un livre qui commencerait par "c'est un garçon" maintes fois répété parce que c'est tellement bien n'est-ce-pas, mais se continuerait avec toutes les contraintes qui sont attachées à ce sexe, tous les rôles qu'on doit jouer, tous les préjugés qu'on doit proférer, toutes les pratiques qu'on doit endosser et toutes celles qu'au contraire on ne peut oser essayer.
Hasard du calendrier, au moment où je lisais "Fille", j'ai assisté à la conférence "Le mythe de la virilité", d'Olivia Gazalé, qui s'attache à montrer en quoi la masculinité est aussi un fardeau, contraignant, et lourd à porter pour la gente masculine. Une conférence passionnante, et le livre qu'elle résume doit l'être tout autant.
Clin d'oeil au passage, je suppose que Camille Laurens a lu la contribution d'Olivia Gazalé en écrivant son "Fille", car on en retrouve plusieurs idées dans les paroles de Laurence sur l'autre sexe.