Voici un roman qui fait des bleus à l'âme, surtout quand on est/naît fille. Un roman sobre et au verbe parfaitement maîtrisé, un bonheur à lire, la belle musique des mots à l'oreille. Mais aussi un roman qui heurte, surtout quand on est/naît fille. Un roman qui donne envie de régler des comptes et de sérieusement s'intéresser au féminisme, ou du moins à la condition féminine.
Le titre est on ne peut plus simple et pourtant il est d'une portée complexe. Questions de sexe, de genre, d'identité, de condition humaine, d'atavisme, d'héritage culturel, de position sociale. Vaste programme.
Camille Laurens réussit à la perfection l'exercice périlleux d'explorer la féminité exploitée sans tomber dans le pathos ou la mièvrerie. Elle parle des clichés sans y tomber, jamais. L'histoire de son héroïne qui se fait narratrice le temps de quelques chapitres, c'est celle de Laurence Barraqué, jeune normande née dans les années 50. Si on parle facilement de "racisme ordinaire", on parle moins de "discrimination sexuelle ordinaire", une violence latente et banalisée qui fait des millions de victimes muettes. L'histoire de son héroïne, c'est celle de toutes les filles, de toutes les femmes ; Laurence porte en elle l'universalité de la femme, de sa naissance à sa maturité.
Le rôle de la femme. Vaste programme.
La place de la femme. Vaste programme.
Le libre-arbitre de la femme. Vaste programme.
La domination de la femme (et non par la femme, entendons-nous). Vaste programme.
Ce roman m'a été offert par mon frère que je considère comme un homme extrêmement respectueux des femmes et très concerné par leur condition. J'aurais aimé qu'un homme me donne son ressenti de lecture. Et même, j'aurais aimé que trois hommes me donnent leur avis : un jeune, un quadra et un retraité. J'ai comme l'intuition que leurs avis divergeraient. Ceux des femmes qui leur feraient miroir seraient sans doute quasiment identiques.
Je pense qu'avec "Fille", Camille Laurens, cette autrice au prénom mixte et au nom phonétiquement "transgenre", rend un grand service à tous. Je ne sais pas quelle part son roman contient peut-être d'autobiographie, le prénom de son héroïne étant l'homophone de son nom, mais elle réalise un tour de force en mettant à nue et en révélant la fille en chacune de ses lectrices, et la conscience en chacun de ses lecteurs, quel que soit leur sexe.
Je ne me suis pas retenue de penser à ma mère, à ma grand-mère, à ma sœur, à mes amies, à moi, sans aucun auto apitoiement mais avec beaucoup de peine quand même.
Merci, Mme Laurens.