Fin de partie
7.5
Fin de partie

livre de Samuel Beckett (1957)

Pourquoi commencer si on sait que ça se finira ?

Je me dois, bien évidemment de commencer par la fin, un linge sur le visage. Mais comment commencer par la fin si le début de la pièce et déjà la fin ? Alors dois-je commencer par le début ? Dans tous les cas, le début se fait lui aussi, un linge sur le visage.


Je préfère commencer par ce qui me dérange. Sans réellement révéler ce qui anime les personnages, leurs vies passées, Beckett, fait raconter à ses personnages les événements qui les ont mis dans cette situation de la scène d’exposition, par un jeu assez classique de “flash back” raconter. Ici, pas réellement de surprise, mais je dois avouer que la façon dont les personnages parviennent à le faire, à raconter des anecdotes, la ou les raisons même pour lesquelles la pièce peut se dérouler en dit long sur le fond de la pièce. Hamm, ne cesse de remettre à demain, à plus tard, à jamais la suite et fin de son anecdote, ou alors de la recommencer complètement. Anecdote majeure puisqu’elle nous donne tout ce qu’il faut savoir sur Clov et la relation qu’ils entretiennent. Et pourtant, comme s'il avait encore le temps devant lui, il repousse à nouveau et toujours, alors que nous, lecteurs, nous savons que c’est la fin. C’est cette manière de raconter là, de toujours s’accrocher qui est marquante.


“La fin est dans le commencement et pourtant on continue. (Un temps.) Je pourrais peut-être continuer mon histoire, la finir et en commencer une autre.”

C’est une pièce qui joue sur le prévisible. Dès le début on sait que c’est la fin et pourtant il y un tout. Il y a un début et une fin à cette pièce malgré qu’elle soit déjà la fin. La pluralité des personnages et le fait qu'ils représentent, en quelque sorte, chacun des étapes différentes d’une vie, ajoutent à l’intérêt de la pièce. Hamm est très âgé, malade, pris par une sorte de fatalité qui le fait se laisser mourir, il le dit lui-même : “Comme moi. (Un temps.) Un jour tu te diras, Je suis fatigué, je vais m’asseoir, et tu iras t’asseoir. Puis tu te diras, J’ai faim, je vais me lever et me faire à manger. Mais tu ne te lèveras pas.” Peut-être était-ce à ce moment-là, le début de sa fin, quand même se lever était trop lourd. Clov, plus jeune lui aussi connaît une fin, celle d’une relation presque paternelle qu’il a partagée avec Hamm, et par conséquent le début d’autre chose. Lui aussi, coincé, il n’avance pas, ne parvient pas pendant toute la pièce à se défaire de la prise que Hamm tient sur lui, il obéit toujours, malgré lui à ses ordres. Les parents de Hamm, Nell et Nagg, semblent eux presque déjà morts, tentant de garder quelque dignité, que leur fils ne leur accorde plus.


Ces quatre personnages ne vont pas ensemble, les discours qui découlent de ses relations ne peuvent être que décalés, pas raccord, dépareillés. La pièce est une espèce d’attente perpétuelle dans laquelle se trouvent les personnages. On comprend vite que tous les jours les mêmes événements se répètent dans la vie des personnages (l’heure du lever, du calmant, de l’histoire), mais si cette pièce existe c’est que la journée racontée est différente, digne d’attention ? Non ? Non, pas vraiment, au final c’est une même journée sans but qui se déroule, comme les précédentes rythmée, paradoxalement, par l’attente. Sauf que cette fois-ci, on en a marre d’attendre, et on arrête tout.


HAMM. — Qu’est-ce qui se passe ? CLOV. — Quelque chose suit son cours.

On ne saura jamais vraiment quoi, ce n’est pas le but, mais Beckett initie une réflexion sur le propre devenir d’un humain, de l’humanité, ce que cela signifie d’être en sachant que nous ne serons plus.

faustine-g
7
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le 1 juin 2024

Critique lue 12 fois

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