Pour ses sept ans, la petite Américaine Elizabeth reçoit un cadeau dont elle ignore encore le poison. En lui offrant une robe de princesse et en l’inscrivant à son premier concours de mini-miss, sa mère vient de faire d’elle une jolie poupée qui lui fera vite oublier la véritable fillette. Devenue le jouet d’une mère bientôt obsédée par la course au podium, outrageusement transformée en infantile Lolita, Elizabeth ne tarde pas à réaliser que l’amour maternel ne tient plus qu’à ses performances lors de ses exhibitions. Elle croira trouver le moyen de s’échapper, mais, sa vie durant, ne connaîtra plus que haine et désir de revanche. Ce corps qu’elle déteste désormais, elle va s’en occuper à sa façon…
L’histoire d’Elizabeth est d’abord celle de ces enfants qui, investis malgré eux de la réalisation par substitution des rêves de leurs parents, sont poussés sans limite vers l’atteinte d’une performance qui dévore leur existence, dans le culte d’une passion que souvent ils ne partagent pas eux-mêmes. Circonstance aggravante, la prouesse attendue d’Elizabeth est directement liée à son apparence, à laquelle elle se voit bientôt réduite, pour le grand préjudice de sa construction psychique. Forcée dans une image artificielle et réductrice d’elle-même, hypersexualisée avant l’âge, l’enfant se retrouve non seulement dépossédée de son existence, mais aussi de son corps et de sa personnalité. Quand elle ne parvient pas sur la plus haute marche de ses podiums, c’est tout son être qui est marqué du sceau de l‘échec et de la déception de ses parents.
Rédigé du point de vue d’Elizabeth, le texte n’est que rage, haine et rancoeur. Et puisque c’est son corps qui alimente les fantasmes de cette mère qu’elle déteste de toute son âme, c’est à lui que l’adolescente, puis la jeune femme, va n’avoir de cesse de s’en prendre, dans un processus d’auto-destruction qui l’aspire irrésistiblement. Paradoxalement, ou peut-être fatalement, c’est encore à un autre culte de l’apparence qu’elle va finir par s’adonner, sculptant dangereusement ses muscles en vue d’une nouvelle compétition, culturiste cette fois, à grands coups de souffrance physique et de produits anabolisants.
Immensément crédible – j’ai retrouvé la rage et le trou noir intérieur qu’André Agassi, ce champion qui déteste le tennis, dévoile dans sa biographie « Open » -, le récit envoie ses phrases courtes comme une volée de bois vert, dans un crépitement de haine de soi assorti d’acides sarcasmes. Olivier Bourdeaut réussit un roman d’une terrible férocité, totalement aux antipodes de son si poétique succès « En attendant Bojangles ».
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