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Le sujet était porteur et recelait de ces thématiques chères à la romancière que sont la quête de soi, la découverte de l'autre, la colonisation et, surtout, la question de l'identité. Les voix entremêlées de L'art de perdre et la superposition des temporalités pour faire sentir, ressentir, l'héritage du passé fonctionnaient à merveille. Ici, il n'en est rien. L'exploit aurait pourtant pu être réitéré avec Frapper l'épopée, d'autant plus que la question néo-calédonienne est brûlante d'actualité, mais au lieu de l'explosion des certitudes, c'est à peine si le roman embrase une goutte de rhum.

De quelle épopée parle-t-on ? D'abord de celle de Tass, écartelée entre le « caillou » et la métropole. Ensuite, celle des nouveaux indépendantistes, adeptes de « l'empathie violente ». Enfin, celle d'un ancien bagnard de l'île, ancêtre de Tass.

Aucune plongée, néanmoins, dans le cœur tumultueux de forces politiques contraires n'est à relever ici, en dépit du titre coup de poing. A la place, nous avons droit à la découverte progressive mais longue, si longue, de l'île et de ses ambivalences. Certes, Alice Zeniter sait décrire la Nouvelle-Calédonie, Nouméa et ses environs avec sensibilité et poésie. Certes, l'on devine les tensions latentes, inhérentes à un peuple colonisé. Certes, l'on est happé par le récit, agencé autour de l'enquête policière sur les traces de deux adolescentes indépendantistes et des racines de Tass.

La déception tient à la facilité avec laquelle est traité le dénouement. L'intérêt de Frapper l'épopée aurait pu être de plonger dans l'héritage ambigu des Néo-Calédoniens, comme dans L'Art de perdre, mais ici, la découverte du parcours de l'ancêtre de Tass se fait de manière artificielle et superficielle :

Artificielle car Tass, grisée par le gin et l'atmosphère fantastique d'un site sacré, voit défiler devant elle la vie de son aïeul... dans un cours d'eau. Mais tout va bien, cher lecteur, ce n'est pas une vision arbitraire car d'autres ont vu la même chose qu'elle ! Vision d'ailleurs clé du roman et que l'on aurait aimé voir s'articuler plus judicieusement au parcours de Tass, et que l'on se serait attendu à suivre tout au long du récit et pas, de manière superficielle, sur les cinquante dernières pages, les plus – voire, les seules – à être vraiment intéressantes sur le sujet. La métalepse soudaine et autocentrée de l'auteur sur son identification à Tass, dans un délire métaphysico-philosophique n'est pas franchement non plus indispensable, bien au contraire.

Il aurait également fallu explorer davantage les mobiles des adolescents fugueurs, plutôt qu'en faire un vague prétexte pour évoquer la misère sociale, l'écartèlement tribal, la magie analeptique d'un cours d'eau et les revendications d'indépendance – peu approfondies d'ailleurs à travers le point de vue de trois indépendantistes.

Alice Zeniter sait en revanche très bien nous parler du quotidien d'une professeure désoeuvrée. Peut-être eût-il fallu en faire l'argument principal du roman...

Frapper l'épopée ne parle donc pas de frapper, et encore moins d'épopée. Pas de luttes vives, ni de vigoureuses velléités d'indépendance. Quelques émois adolescents, un peu de magie et d'histoire, à la rigueur, mais sans agencement pertinent. Malgré tout, le titre était peut-être programmatique : il s'agissait de déconstruire le récit épique de la colonisation ; en faisant le récit décevant d'une âme errante en terre néo-calédonienne, l'horizon d'attente n'est plus si trompeur. Frapper l'épopée rend peut-être caduc le mythe colonisateur, mais il attaque, dans le même temps, le récit lui-même, désormais dénué de tout souffle unificateur et de toute ambition, quelle qu'elle soit. Dommage.

Lucidithe
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le 20 sept. 2024

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