Hollywood la fameuse, la décriée, la délurée, la déjantée, la merveilleuse, la gigantesque, la babylonesque Hollywood.
Damien Chazelle n'en est pas à son premier film-essai sur le cinéma Hollywoodien. Il exploitait déjà, avec La La Land, la pente raide vers la machine à rêves. Avec Babylon, il met en lumière sa légende. Babylon est l'écriture mythologique d'Hollywood.
Les pierres fondatrices de la cité : la gloire, la démesure, la foi en les possibles. Le cinéma, nous montre-t-on, est le fruit d'un rêve commun. Rien que ça !
Et Damien Chazelle nous emmène dans son rêve, ce rêve que l'on ne peut que partager avec lui tant sa densité exploite une large palette de registres et de genres. On rit, on frissonne, on pleure (un peu), on chante, on danse, on crie, on joue - on vit. Emportés par la vitalité d'une Margot Robbie qui détient dans son jeu de jambes, de regards et de sourires le secret de la vie, la frontière trop artificielle entre le cinéma et la vie s'estompe. Tantôt l'une devient l'autre, et inversement. En témoignent les scènes surréelles des fêtes, ou la lumière poignante qui émane de ces pellicules minuscules, embryons des nuits effrénées et des rêves éveillés.
Mais le temps passe et avec lui les gloires d'antan. Brad Pitt, toujours immortel, joue la vedette dépassée par le progrès technologique, en un contrepoint aussi drôle que cruel de Chantons sous la pluie. Les références à ce film culte sont nombreuses, la réécriture en est virevoltante, enjouée et poignante.
Au-delà des vies qui se font, se défont, s'unissent et se déchirent, au milieu de cette valse enivrante des pas qui se croisent et que nous montre admirablement le réalisateur, c'est bien un hommage autant qu'une déclaration d'amour au cinéma qui est le thème principal de Babylon.
Ne serait-ce qu'avec les scènes dans le désert, où l'on suit la course folle de tous les agents du cinéma se démenant sur des tournages chaotiques, on sentait déjà l'amour de Damien Chazelle pour un 7ème art ouvert à tous les possibles et aux soubresauts aussi délicieux qu'imprévisibles.
La technique ensuite, aussi merveilleuse qu'impitoyable, devient le cœur de sa réflexion dans des scènes déjà anthologiques.
Enfin, la sociologie du cinéma est pointée du doigt. D'un art populaire, balbutiant, inclusif et explosif, l'on passe peu à peu à un cinéma plus discriminant et les fêtes orgiaques font place aux cocktails mondains où tout semble figé et déjà mort, jusqu'à ce que, une fois de plus, Margot Robbie vienne mettre les pieds dans le plat. Littéralement.
Le réalisateur bien propre, aux plans soignés, à la technique impeccable, si bien ordonnés qu'ils laissaient parfois des spectateurs froids et indifférents, défend ici le chaos esthétique du cinéma, le sale, l'ordurier, l'abject. Qui l'eût cru ? Parlez-lui volontiers d'excréments d'éléphant, il en fera de l'or.
Chazelle écrit ici une ode au cinéma, à l'art de la vie réalisée, à cet art grandiose fait de l'assemblage de vies minuscules et insignifiantes. Le cinéma comme l'alambic alchimique de prédilection, comme le creuset des rêves. Le réalisateur, dans une dernière série d'images qui auraient tout aussi bien pu suivre le générique, remercie tous ceux qui ont fait le cinéma, qui ont alimenté le rêve et ouvert l'horizon des possibles : des frères Lumière à James Cameron en passant par Luis Bunuel ou Kubrick...
Le film aurait certes pu être un peu moins long (2h40 auraient fait amplement l'affaire), mais même après plus de trois heures de course folle sur la côte Ouest, l'on regrette de ne pas poursuivre encore cette odyssée cinématographique.
Qu'importe ? Elle n'est jamais bien loin, c'est notre rêve commun.