Toussaint, à son habitude, ne nous laisse jamais s'ennuyer ; le récit est toujours mis sous tension par l'impression de menace qui émane d'un objet ou d'un personnage (ici un téléphone portable et un guide chinois trop insistant), mais comme à son habitude il s'agit d'un prétexte pour nous happer dans l'histoire et non d'un élément capital de l'intrigue, que l'on pourrait facilement résumer à un narrateur qui visite Pékin, flirte avec une locale, fait du tourisme avec un guide bizarre, et lorsqu'il apprend la mort de son beau-père doit retourner soutenir Marie, sa compagne, pour l'enterrement sur l'île d'Elbe.
Le récit se découpe en trois chapitres qui offrent chacun une scène marquante : une fuite en train (thème cher à l'auteur) loin de ce guide local envahissant mandé par Marie, et peut-être loin de l'idée même de Marie puisque le narrateur va presque la tromper ; une fuite à trois sur une moto (cf l'image de couverture du format poche) dans un instant de peur (paranoïaque ou justifiée ?), scène à laquelle le narrateur participe en restant passif, comme bouche bée ; une fuite vers Marie, pour la rejoindre à temps pour l'enterrement, puis loin d'elle, en pleine cérémonie.
L'esthétique développé dans Fuir se base beaucoup sur la lumière, les dichotomies jour/nuit, mais aussi les lumières citadines, les panneaux, les phares, les gyrophares... La Chine explorée est moderne et en pleine évolution, et avec les transports (train, moto, bateau) ou la communication par téléphone portable, on la preuve qu'il est possible de fonder un roman contemporain sur des éléments d'intrigue ou d'esthétique contemporains, que l'on peut faire du romanesque qui soit unique au monde d'aujourd'hui, sans tomber dans le genre de récit transposable à toutes les époques.
On reste captivé par la manière dont l'auteur parvient, à travers un narrateur à la première personne (dont la perception s'étend parfois au-delà de sa personne, jusqu'à Marie dont il peut décrire les actions ou les sentiments sans la voir), à décrire des évènement parfois banals, parfois superbement romanesques, parfois romantiques, tout en gardant un regard détaché, comme spectateur de sa propre vie.
Le style de Toussaint semble se bonifier avec le temps, se développer, s'étendre et s'étoffer, parvenant à écrire des phrases couvrant une page entière sans perdre le lecteur ni l'ennuyer, mais au contraire l'enchantant de pouvoir lire une prose aussi délicieuse, et un récit aussi rythmé.