Gagner une guerre, c’est bien beau, mais encore faut-il partager le butin entre les vainqueurs, et comparée à cela, la guerre, ce n’est que de la pacotille. Don Benvenuto Gesufal en sait quelque chose, étant l’homme de main et le maître-espion du Podestat de la République triomphatrice de Ciudalia. Dans un univers tout droit sorti de la Renaissance italienne, où le réalisme historique crasseux se mêle habilement à quelques touches de fantastique, le lecteur est plongé dans les manipulations et les jeux de pouvoir de la République.
« L’enfoiré... » La dernière phrase du récit pourrait être la nôtre une fois celui-ci terminé. Enfoiré de Don Benvenuto tout d’abord, avec son mélange de machiavélisme cruel et sa droiture étrange, qui nous capte et ne nous lâche pas du premier chapitre jusqu’à la fin par son style, son humour noir et ses apartés moqueurs avec ses lecteurs qui nous questionnent et nous font hésiter de son inexistence. Et tant pis s’il lui vient l’envie de m’attendre au détour d’une allée pour corriger mes propos sur lui ! Enfoiré de Jean-Philippe Jaworski surtout, qui arrive par sa plume et sa précision à nous enticher de pareils salauds et de cet univers si réel, si cruel, si humain. Sa maîtrise de la temporalité dans son œuvre et la cohérence de cet univers qu’il étoffe dans ses autres nouvelles sont également très appréciables. Il lui arrive occasionnellement de tirer en longueur sur certains passages, surtout quand l’intensité est à son paroxysme et que l’on tourne chaque page avec frénésie pour connaître le fin mot de l’histoire, et les 680 pages de l’édition originale peuvent effrayer, mais rassurez-vous, au final, on ne les voit pas passer, et on en redemande !
Avec Gagner la guerre, qui a notamment obtenu le Prix Imaginales 2009 dans la catégorie Roman francophone, Jean-Philippe Jaworski nous entraîne avec fougue et humour noir dans l’univers de ses Récits du Vieux Royaume, qu’il nous avait fait découvrir avec le recueil de nouvelles Janua Vera (prix Cafard Cosmique 2008) qui nous introduisait déjà à l’ambiguïté de Don Benvenuto, dans Le sentiment de fer et La mauvaise donne. Cette dernière, qui nous explique l’origine des personnages rocambolesques de Gagner la guerre, a été adaptée en bandes dessinées par Frédéric Genêt et nous donne un bon avant-goût du Vieux-Royaume et de ses habitants. Outre ses best-sellers de la fantasy, Jaworski a également créé le jeu de rôles Te Deum pour un massacre se passant lors des guerres de religion en France, et travaille actuellement sur la série celtique Rois du Monde.
Un chef-d’œuvre à recommander donc, de même que tout le reste de l’œuvre de l’auteur !