« Je n'ai jamais aimé la mer.
Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n'ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c'est plus gras, c'est plus trouble et plus limoneux que le pot d'aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c'est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l'ivresse.
Je n'ai jamais aimé la mer, et ce n'était pas près de s'arranger. »
Voilà comment commence ce roman de Jean Philippe Jaworski, déjà auteur du très reconnu recueil de nouvelles Janua Vera, nouvelles se déroulant également dans ce Vieux Royaume que l'on retrouve dans ce premier roman. Et cette introduction nous montre déjà deux choses : la plume de Jaworski est extrêmement travaillée, ciselée à perfection, et son héros, cette crapule d'assassinat qu'est Gesufal don Benvenuto va en voir de toutes les couleurs, et nous avec ! Et avec quel plaisir !
On tremblera avec lui, on vibrera avec lui, on aura (vraiment très) mal avec lui (et vous comprendrez une nouvelle fois la richesse de l'écriture de l'auteur, croyez moi !), on verra du pays avec lui, on se fera avoir avec lui, on filoutera avec lui, on combattra à ses côtés, on mentira avec lui, etc...
Et ce n'est pas le moindre des exploits de l'auteur que d'avoir réussi à rendre son héros (une mauvaise fréquentation comme il le dit lui même) sympathique ! Tour à tour cynique, drôle, pleutre, fier, arrogant, on s'attache rapidement à lui, avant d'être propulsé dans un maelström d'événements qui le dépasse totalement...
Le cadre du roman est également une vraie réussite, notamment à travers l'évocation de Ciudalia, la ville dans laquelle se situe une bonne partie de l'intrigue, sorte de Rome imaginaire, une cité tentaculaire qui devient un personnage de l'histoire à part entière.
On sent que l'auteur s'est vraiment documenté à fond pour que tout soit crédible, jusque dans une superbe scène où deux assassins s'expriment dans un argot totalement déroutant et pourtant parfaitement compréhensible. Renversant !
Intrigues politiques, combats, jeux de dupes, complots, machinations sont les ingrédients de ce roman absolument jouissif qu'il est impossible de lâcher avant la fin, et qui montre à tous que la fantasy va bien au-delà des poncifs auxquels on la cantonne trop souvent... Magistral, à l'image de la toute fin du roman, qui parvient en un seul mot à clôturer cette aventure palpitante de la manière la plus cynique qui soit. Jouissif je vous dis !