J’avoue ne pas être objectif sur mon appréciation de cette œuvre tant le brave Aloysius, Louis de son prénom, a su toucher la corde sensible de mon imaginaire poétique.
Gaspard de la Nuit, c’est un voyage dans un univers à la Walter Scott, entre le Dijon médiéval et gothique tout à fait charmant, les boues des Flandres et le soleil d’Espagne. Aloysius soigne ces petits mondes et leur crée une ambiance dans laquelle il est facile de se plonger. Comme le montre son pseudonyme, c’est le genre de poète à utiliser un mot parce qu’il claque et qu’il véhicule tout un imaginaire sur lequel il peut s’appuyer pour construire son poème. Car il s’agit bien là de bâtir tant le style nouveau et particulier que les différents tableaux dans lesquels se déroulent ces petits poèmes en prose. Tableaux car la volonté du poète est, comme l’indique le sous-titre, de peindre de petites fantaisies à l’image des peintures hollandaises, des fantaisies de Rembrandt. Il y parvient à merveilles, reproduisant ces paysages pluvieux et boueux, ces vieilles pierres lézardées par la lune, rendant poétiques les charniers de soirs de batailles, les moines solitaires, les donjons gothiques et les suppliciés.
Le vrai génie de Bertrand, pourtant trop oublié, est sa manière de manier les mots. Certes on ne comprend pas tout et certaines tournures sont ampoulées et pleines de mots qui méritent d’aller jeter un œil au dictionnaire du Cnrtl, mais tout ceci joue un rôle majeur dans sa création poétique. Ici, la vraie valeur des mots est leur sonorité et ce qu’ils évoquent comme imaginaire bien au-delà de leur simple signification et Aloysius les emploie ainsi. L’image devient alors plus importante que le sens du mot (cf. l’emploi ici du mot lézardé « une abbaye aux murailles lézardées par la lune » "Un Rêve").
Tout n’est alors pas parfait et certains poèmes sont moins bons et oubliables mais l’originalité de cette œuvre tristement délaissée et la beauté de la prose et des différentes atmosphères méritent à ces petites fantaisies, qui constituent un véritable chef d'oeuvre du romantisme noir, une meilleure reconnaissance.