Tiré d’un fonds posthume des manuscrits de Schnitzler sauvé in extremis de la destruction nazie au moment de l’Anschluss, ce court roman, à la fois mordant et mélancolique, suit les pas d’Edouard Saxberger, un vieil employé de bureau viennois « pour qui non seulement les espérances mais aussi les déceptions relevaient d’un lointain passé ». Celui-ci le rattrape pourtant le jour où il reçoit la visite d’un jeune poète qui lui rappelle soudain que, lui aussi, il y a bien longtemps, en était un. Ayant renoncé à cette vocation faute de succès après avoir publié un unique recueil de poèmes, il se voit soudain redécouvert et loué par un cercle de jeunes artistes pleins d’avenir, le groupe Exaltation, qui souhaite faire de lui sa figure tutélaire. Retrouvant une nouvelle jeunesse, Saxberger fréquente avec délectation ces poètes et ces dramaturges, sentant par contraste à quel point il n’avait jamais su se faire comprendre de ses collègues fonctionnaires, insensibles aux subtilités de l’art, et qui avaient pourtant le toupet de le considérer comme un des leurs.
Une grande partie du récit se situe dans un café où se retrouvent les jeunes poètes préparant une soirée littéraire à laquelle Saxberger accepte de participer. Mais le vieil homme est devenu incapable d’écrire une ligne, « son âme était une motte sèche, glacée », même au bord du Danube où il composait jadis ses vers. L’enchantement des premières rencontres retombe, même s’il continue de se sentir bien « parmi ces gens qui avaient certes énormément de talent mais travaillaient manifestement fort peu ». Leur idéal artistique et leur fougue semblent parfois peser bien peu face aux jalousies, aux blessures de l’amour-propre et aux ambitions contrariées. « Pourquoi parlaient-ils encore et toujours d’eux-mêmes et continuaient-ils de déclarer qu’ils étaient des génies et qu’ils le prouveraient au mode entier ? » Un roman cruel sur les petites mesquineries d’un milieu littéraire que Schnitzler ne connaissait que trop bien.