Tiré d’un fonds posthume des manuscrits de Schnitzler sauvé in extremis de la destruction nazie au moment de l’Anschluss, ce court roman, à la fois mordant et mélancolique, suit les pas d’Edouard Saxberger, un vieil employé de bureau viennois « pour qui non seulement les espérances mais aussi les déceptions relevaient d’un lointain passé ». Celui-ci le rattrape pourtant le jour où il reçoit la visite d’un jeune poète qui lui rappelle soudain que, lui aussi, il y a bien longtemps, en était un. Ayant renoncé à cette vocation faute de succès après avoir publié un unique recueil de poèmes, il se voit soudain redécouvert et loué par un cercle de jeunes artistes pleins d’avenir, le groupe Exaltation, qui souhaite faire de lui sa figure tutélaire. Retrouvant une nouvelle jeunesse, Saxberger fréquente avec délectation ces poètes et ces dramaturges, sentant par contraste à quel point il n’avait jamais su se faire comprendre de ses collègues fonctionnaires, insensibles aux subtilités de l’art, et qui avaient pourtant le toupet de le considérer comme un des leurs.


Une grande partie du récit se situe dans un café où se retrouvent les jeunes poètes préparant une soirée littéraire à laquelle Saxberger accepte de participer. Mais le vieil homme est devenu incapable d’écrire une ligne, « son âme était une motte sèche, glacée », même au bord du Danube où il composait jadis ses vers. L’enchantement des premières rencontres retombe, même s’il continue de se sentir bien « parmi ces gens qui avaient certes énormément de talent mais travaillaient manifestement fort peu ». Leur idéal artistique et leur fougue semblent parfois peser bien peu face aux jalousies, aux blessures de l’amour-propre et aux ambitions contrariées. « Pourquoi parlaient-ils encore et toujours d’eux-mêmes et continuaient-ils de déclarer qu’ils étaient des génies et qu’ils le prouveraient au mode entier ? » Un roman cruel sur les petites mesquineries d’un milieu littéraire que Schnitzler ne connaissait que trop bien.

David_L_Epée
8
Écrit par

Créée

le 13 déc. 2018

Critique lue 58 fois

1 j'aime

David_L_Epée

Écrit par

Critique lue 58 fois

1

D'autres avis sur Gloire tardive

Gloire tardive
YasujiroRilke
6

Critique de Gloire tardive par Yasujirô Rilke

Nouvelle éditée à titre posthume de l'éminent romancier viennois, cette "Gloire tardive", lointain cousin du "Bartleby" de Melville, témoigne dans un style effacé de la fatuité des artistes ratées et...

le 21 juil. 2018

Du même critique

La Chambre interdite
David_L_Epée
9

Du film rêvé au rêve filmé

Dans un récent ouvrage (Les théories du cinéma depuis 1945, Armand Colin, 2015), Francesco Casetti expliquait qu’un film, en soi, était une création très proche d’un rêve : même caractère visuel,...

le 20 oct. 2015

33 j'aime

Les Filles au Moyen Âge
David_L_Epée
8

Au temps des saintes, des princesses et des sorcières

Le deuxième long métrage d’Hubert Viel apparaît à la croisée de tant de chemins différents qu’il en devient tout bonnement inclassable. Et pourtant, la richesse et l’éclectisme des influences...

le 6 janv. 2016

20 j'aime

1

I Am Not a Witch
David_L_Epée
6

La petite sorcière embobinée

Il est difficile pour un Occidental de réaliser un film critique sur les structures traditionnelles des sociétés africaines sans qu’on le soupçonne aussitôt de velléités néocolonialistes. Aussi, la...

le 24 août 2017

14 j'aime