S'attaquer à Balzac, c'est s'attaquer à un univers qu'on ne soupçonne pas. On a beau nous parler de la "Comédie humaine", on n'imagine pas le travail monumental que cela peut représenter et l'univers tentaculaire imaginé et couché sur papier par Balzac.
En ce sens, lire Gobseck peut s'avérer extrêmement utile.
C'est en lisant Le Père Goriot, peut-être l'œuvre la plus célèbre de Balzac avec Eugénie Grandet que j'ai découvert ce personnage de Gobseck : un prêteur sur gage auquel font appel de bien mauvaise grâce les personnages du roman, les uns après les autres, quand ils sont en manque d'argent et qu'ils doivent, soit continuer à donner l'illusion de richesse, soit faire face à une dépense nécessaire. Gobseck y est alors décrit comme intraitable. Et puis, par un hasard bien heureux, je suis tombé sur la nouvelle qui traitait de ce personnage. C'est là qu'on comprend la puissance et l'étendue de la "Comédie humaine" : chaque personnage, même secondaire ; chaque intrigue, même passagère ; chaque fait relaté, même de manière anecdotique par Balzac dans l'une de ses œuvres est susceptible d'être l'objet d'un roman ou d'une nouvelle, le tout de manière systémique et cohérente. C'est prodigieux. Et Gobseck permet d'entrapercevoir cet univers.
Mais la nouvelle par elle-même est digne d'intérêt, tant ce personnage de prêteur sur gage froid et silencieux, sondeur de l'âme humaine, calculateur et mystérieux vaut le détour. C'est un très beau personnage, amené à travers une histoire déjà bien esquissée dans Le Père Goriot, mais habilement déployée dans cette nouvelle et qui permet de donner une profondeur et une sympathie réelle pour ce personnage pourtant si craint. On y découvre une philosophie soignée et troublante quant à la relativité des cultures, et donc la vanité, la vacuité et la fatuité de l'homme ; un constat dressé par Gobseck lui-même, l'amenant à considérer le pouvoir sur ses êtres insignifiants et inconscients de leur ridicule comme la seule occupation digne d'intérêt et susceptible de provoquer un plaisir certes mesuré mais du moins raffiné.
Gobseck est donc un ouvrage à lire pour de multiples raisons, que je ne peux qu'humblement conseiller.