Gomorra se découvre très vite. On passe vite de Gomorre au sex shop. Des horreurs, pain quotidien des habitants de Palerme, à une fable sanglante, racontée avec la décontraction d’un feuilleton télévisé, avec ce qu’il faut de détails scabreux pour accrocher le lecteur, bien sûr, mais j’aurais très bien pût dire spectateur, tellement c’est fabriqué pour faire effet; c’est très visuel. La façon dont il s’appesantit sur le sort de chaque victime, non pas en tant que victime, mais en tant que victime « de meurtre » ; c’est souvent digne d’un slasher américain, et à ce titre les tueurs de la mafia ont beaucoup d’imagination, on devrait les embaucher à Hollywood, pour relancer l’intérêt des films de gangsters de seconde zone.
Pour être honnête, je ne vois pas où il veut en venir, Saviano. Son roman n’est visiblement pas un roman. Ou alors un vrai faux roman autobiographique, écrit à la première personne, avec un narrateur, impliqué, et pas impliqué en même temps, un roman docu-fiction, comme à la télé, un peu fourre-tout. Là où il est le meilleur, c’est quand il décortique à la loupe le système mafieux, comparé à une multinationale du crime, dont le siège social est à Naples. C’est précis, documenté, argumenté, journalistique, mais on dirait un trac publicitaire. Les responsables, les chefs, tous comparés à des cadres d’une entreprise, dont le but est l’enrichissement personnel de quelques uns. Ce n'est qu'une entreprise, qui a fait sa fortune dans le bâtiment, (idéal pour blanchir l’argent), et les quelques crimes commis ne sont que des dommages collatéraux, on ne s’intéresse que très peu de leur cas, vite oubliés, mais on se penche surtout sur la description des sévices, et après du service mortuaire ; des scènes fortes, donc plus intéressantes à décrire, plus facile que le fond, la matière humaine. Les personnages eux-mêmes, le sont moins intéressants, beaucoup moins.
Le pompon c’est l’anecdote, (une parmi les autres), qui raconte la mort d’Annalisa, une jolie ado pleine de vie, morte d’une balle perdue, (qui lui a fracassée le crâne), lors d’un règlement de compte. Et les femmes à l’église qui pleurent comme des madeleines, et les hommes qui portent le cercueil avec dignité… bref, il m’a un peu déçu. Quand on lit un livre sur la mafia, on se doute que ça doit être choquant, dur, violent, et tout ça ; et bien même pas !…Il y a tellement peu de chair dans son écriture, que j’ai eut l’impression de lire les avis d’obsèques, dans un journal de faits-divers genre Détective, avec plein de détails scabreux, mis là exprès pour choquer. Au bout de dix pages, ça ne choque plus personne. Aucune réflexion sur la violence, il n'y a aucune faille dans le système, il semble être plus admiratif qu’autre chose, sous ces airs de journaliste détaché, objectif (?), qui cite pêle-mêle, Kill Bill, ou des termes techniques d’économie, ou Le Parrain, de Coppola / Puzo, ou la généalogie de chaque petit mafieux devenu grand, où son père à lui narrateur, qui l’appelle Robbè, au lieu de Robert; un vrai fourre-tout, comme je disais, comme le ferait tout bon "journaliste" qui se respecte, donc quel intérêt de faire un roman, autant faire une thèse, ou un article dans le journal...
Une longue série d’articles de journaux écrits par l’auteur, collés les uns derrière les autres, et chapitrés pour ressembler à un roman. Voilà. Des personnages inattendus qui apparaissent comme: Mikhaïl Kalachnikov, inventeur de l’AK47, mis là pour faire effet et diversion, ou le chinois qui fait de la contrebande au début du roman, il disparaît dès le deuxième chapitre...euh! Accumulation de noms, et de crimes, et rien d’autre, on passe de l’un à l’autre. C’est peu.