Guerre et Paix
8.2
Guerre et Paix

livre de Léon Tolstoï (1867)

On ne connait pas beaucoup Léo Tolstoï. Du moins le connait-on trop peu. On en a vaguement entendu parler, c'est un peu de la trempe d'Aurélien d'Aragon ou de Belle du Seigneur de Cohen. Ça semble très grand, ça a quelque chose d'insurmontable. Mais quand en vacances, même l'oisiveté n'est plus à plaire, on se laisse parfois tenter.

Publiée entre 1865 et 1869 dans un périodique russe, séparée en quatre livres, en parties et en chapitres, l'oeuvre s'affiche dès les premières lignes comme un tout vaste et complet, et appelle au silence. Avec ses canons, ses fanons : un champ de bataille avant les combats. C'est un roman, et si c'est un roman alors s'y raconte une histoire, et si c'est une histoire, elle est forcément vraie. Quelque part. On est d'entrée forcé d'apprendre à connaître et à voir, tout un microcosme : des noms, des humeurs, des visages des drames et des voix, des caractères, des histoire de heurts, les liaisons des dames et les affectations des soldats. Tout y est. Tout est là. L'Histoire n'est pas faite par de grands hommes, c'est forcément la force de plusieurs et l'avis de Tolstoï, qui nous les présente d'abord, les faits viendront après. Deux batailles sont au centre des é(com)bats : Austerlitz (1805) et Borodino (1812). Il y a deux tomes dans les éditions du roman. Si le premier évoque vaguement la défaite d'Austerlitz, le second est presque entièrement dédié à la campagne de Russie et son happy ending apothéotique. L'auteur est russe et c'est bien de cela qu'il s'agit : le pan d'histoire qui se dévoile est russe, là est toute la force du roman. Le premier volume lambine, se tortille, soudain s'affole, s'extasie puis se rassied, attend, se réveille, se rendort. C'est la vie à l'arrière, entre Saint-Pétersbourg et Moscou, et c'est là, dès les premières lignes, que les personnages principaux se laissent surprendre : Pierre Bézoukhov, la fratrie Rostov, la famille Bolkonsky. Autour d'eux gravitent leurs parents, des amis, des compagnons de batailles, des admirateurs, des serviteurs, tous invitent au drame. On surprend l'auteur à vouloir parler du mariage, à en parler même beaucoup. De toutes les tentatives qu'il dévoile, seule une aura sa fin heureuse. Tolstoï est fort cynique, et la critique atteindra aussi la foi chrétienne de la jeune Marie et les délires francs-maçons de Pierre, en filigrane.

C'est aussi l'époque où Napoléon veut bouffer le monde. Le vieil atavisme belliqueux des hommes les conduit au malheur et revient comme un rot aigre irrépressible. La testostérone est chauffée à blanc mais les mâles semblent coincés dans les starters. Ils sont beaucoup. Ils sont forts. Ils sont beaux. L'instinct combatif viril semble se justifier en lui-même. « Pourquoi allez-vous à la guerre ? — Je ne sais pas » répond un personnage. Et leurs mères, et leurs femmes, et leurs enfants : les haïssent, les aiment, les chérissent, les regrettent, comme d'habitude. L'atmosphère se dégrade.
Tolstoï se montre critique à l'extrême. S'il permet de deviner, de "comprendre" (sens lat.) Napoléon, par la très fine analyse de sa situation, son jugement en pointe s'en va, lui, pourfendre son propre camp. Il reproche aux dirigeants russes de n'avoir jamais su profiter que de la malchance de Bonaparte, dont la chaine de commandement a déraillé, à un moment, quelque part, de ne s'être pas montrés à la hauteur face à l'homme qu'il juge lui-même comme le plus grand tacticien de son temps.
Ainsi La Guerre et la Paix s'en va faire l'apologie de ces deux notions lourdement fustigée et Tolstoï endosse le lourd fardeau de chantre de l'Humanité : si le premier volume ne parle que trop vaguement d'Austerlitz c'est que déjà à l'époque elle était victorieuse, grande et revendiquée. Les russes, bien que très beaux eux aussi, ne pouvaient rien face au charisme stratégique de Bonaparte, réduits comme ils étaient au rang de petits pucerons qu'on écrase. Pourtant, la vie de la plus haute aristocratie moscovite fusionne avec le Français. Tous sans trop d'exception parlent déjà la langue, qui devient la condition pour pouvoir s'intégrer aux conversations les plus précieuses, les plus importantes, les plus solennelles, les plus recherchées. Pour Tolstoï, l'unité russe du début XIXème est une grande illusion partagée, et paradoxalement ce sont les Français qui vont, malgré eux, les souder.

Une oeuvre magistrale et vaste, qui devient par la force des chose, incontournable.
MarieFbg
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le 18 avr. 2012

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MarieFbg

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