A l’occasion de l’exposition consacrée l’an passé à Gustave Doré au musée d’Orsay paraît un ouvrage qui promet de faire référence sur cet artiste prolifique, tant par sa riche iconographie que par ses textes de fond. Talent précoce et protéiforme, caricaturiste, pionnier de la bande dessinée, graveur, peintre, sculpteur sur le tard, Doré avait entrepris d’illustrer les œuvres des auteurs qui lui tenaient le plus à cœur : Rabelais, L’Arioste, Cervantès, Perrault, La Fontaine, Chateaubriand, Balzac, Poe… Si certains, comme Proudhon, lui reprochent de transformer les grands classiques en produits de luxe inaccessibles au peuple, d’autres, comme Zola, saluent son génie : « On appelle ça illustrer un ouvrage : moi, je prétends que c’est le refaire. Au lieu d’un chef-d’œuvre, l’esprit humain en compte deux. C’est une même pensée traduite en deux langues. »


Doré profite de ses voyages pour réaliser d’immenses paysages, avec une prédilection pour les Alpes et pour les brumes écossaises, puisant à la fois du côté du naturalisme et du fantastique. Doté d’une mémoire visuelle quasi-photographique, il aime à dire qu’il a « du collodion plein la tête ». Le chapitre consacré à la réalisation des illustrations de son pèlerinage à Londres est particulièrement éclairant sur sa manière de travailler, ses notes prises à la dérobée en pleine rue, ses mises en scène de la misère urbaine et du grouillement démographique. Ses tableaux d’inspiration biblique lui vaudront ses succès américains, malgré une théâtralité et un goût du spectacle souvent réprouvés par ses contemporains et notamment par les critiques chrétiens. L’histoire de son temps ne le laissera pas non plus indifférent et il y trouvera quelques grands motifs : les guerres de Crimée et d’Italie et surtout ses trois tableaux intitulés Souvenirs de 1870, ces « grandes grisailles funèbres » parmi lesquelles la fameuse Enigme.


Le dernier chapitre est consacré à l’influence qu’a eu Doré sur le cinéma, de Méliès à Terry Gilliam en passant par Disney ou Cocteau. Dans une des contributions de l’ouvrage, Baldine Saint-Girons écrit : « Il faut soit lui ôter le nom d’illustrateur, soit restituer à l’illustrateur le génie dont on l’a privé en mésestimant l’héroïsme qu’exige la rivalité créatrice avec les “monstres du sublime” : la Bible, Homère, Dante, Shakespeare. » Doré souffrira pourtant toujours de ne pas être reconnu comme peintre, enfermé dans son rôle d’illustrateur par la critique de son temps.

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le 17 nov. 2015

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