Homme, t'es-tu caché dans la folie?
Si un livre ne se résumait qu'à une simple phrase alors ce ne serait pas un livre. Hamlet est un livre et quel livre ! Non « to be or not to be, that is the question » ne reflète en rien la profondeur ténébreuse, l'intensité flamboyante et la richesse métaphorique du chef d'œuvre de Shakespeare. Il y a effectivement des milliers de choses à dire quant à son écriture, son histoire. Imaginez-vous dans votre tombe (c'est difficile mais faisable) et pensez à la douloureuse atteinte que vous feriez vos proches en écrivant de manière délicate et affectueuse votre épitaphe ainsi : « Jvais jouer à l'ordi ou m'occuper des gosses », réflexion que vous avez peut-être et certainement faite auparavant mais qui n'a pas le reflet de votre existence, la vôtre, celle d'un plombier (s'il fût un jour où vous fûtes plombier!).
Bon, je me suis suffisamment insurgé contre les personnes qui n'ont eu de cesse de me rabâcher cette citation sans me parler une seule fois de ce que vit Hamlet, si si je vous jure ! (En plus j'aurais choisi celle-ci,moi, "il faut que je sois cruel, rien que pour être humain", mais bon...)
Alors, Hamlet, je peux enfin t'acclamer. Mais qu'il est dur de parler après l'avoir lu. J'ai tout d'abord été absorbé par le premier acte, fantôme des ténèbres, apparition divine, hallucination on ne saurait dire à la vue du roi mort, père d'Hamlet, qui nourrit dès le début l'intrigue à venir. Oui Hamlet va s'engouffrer dans un territoire dont on ne revient pas, la vengeance. Venger quelqu'un est toujours très cruel, maladroit et franchement stupide, mais venger quelque en mode Hamlet, c'est simplement sublime, c'est élever le crime à la hauteur de la vertu.
Le personnage d'Hamlet constitue en son sein, la puissance qu'il faut pour insuffler cette élévation. Il est un jeu de miroir, de facettes, de mensonges et de vérité. Il joue de nous comme il joue de lui car au fond Hamlet n'est qu'un acteur, il ne vise alors que l'instant esthétique, la grandiloquence des sentiments, il s'épanche comme il ne le devrait pas. Cet acteur joue son spectacle, sa vengeance ; et la misérable fin que vont connaître ses victimes ne tient que de leur rôle de spectateur. Ils sont impuissants devant cette force tragique.
A vrai dire, le rôle que tient justement chaque personnage est nettement visible lors de la représentation du spectacle qui permettra de pousser le frère du roi à avouer son crime. Mise en abyme donc. Merveille d'écriture, en effet, je m'explique. La mise en abyme permet à Shakespeare de métamorphoser les personnages de cette pièce en spectateur, ce que nous étions à la lecture de ce livre. Or Hamlet, lui se veut à l'écart de ce jeu, renforçant vivement cette impression qu'il échappe à toute sentence et contraste ainsi avec ses opposants. Hamlet transperce l'œuvre et c'est à ce moment qu'on comprend que les rapports de force ne basculeront jamais, pas même dans la mort puisque Hamlet est un acteur, il ne peut pas mourir. Hamlet a donc d'ores et déjà gagné et pourtant il reste tant à faire.
A la fin de la mise en scène du crime du défunt roi, les masques tombent, ceux de l'espion Polonius et ceux du malveillant Claudius. Polonius est tué, premier chapitre de la vengeance.
Mais intéressons nous particulièrement au charmant personnage d'Ophélia, douce fille scandaleusement naïve. Elle paye les frais de la douleur d'Hamlet et ne trouve refuge que dans la mort, une mort provoquée. Un suicide murmura-t-on, un suicide constatera-t-on, un accident fustigera-t-on. Il est d'ailleurs drôle de voir que la grâce d'Ophélia se retrouve dans les mots d'un fossoyeur indélicat, écrasant les crânes, maltraitant les cadavres. Mais c'est de la sorte qu'Ophélia trouve en fait chez le lecteur un certain apitoiement et de manière simultané un profond dégoût. Elle est remplie de charme mais elle est détestable. Ophélia trouve le rachat de sa vertu dans sa mort, cela est paradoxalement magnifique. Sa mort nettoie ses péchés, ceux d'être une sage petite fille, car elle meurt comme les grandes, une mort spectaculaire! Lancée dans l'eau, sa robe bouffante effleurant l'air dans un dernier mouvement, sifflant dans sa chute et percutant violemment les flots, lourds, comme la pierre froide où elle reposera. Puis, l'eau s'échappe sous cette silhouette de candeur, les flots la broie, l'emmène mordre le fond de la rivière et goûter à la purulence des algues moisies, des insectes noyés, des pierres noires. Ophélia est morte et Ophélia est née. Hamlet, lui seul pouvait nourrir l'amour d'un tel personnage. Deuxième chapitre de la vengeance, Hamlet cède l'avantage.
Voici, l'une des scènes que j'affectionne le plus dans toute l'œuvre, la fin, évidemment ! Comment meurt un personnage digne de ce nom, je vais vous le dire, il entraîne avec lui son monde, autant physiquement que psychologiquement. La bataille oppose Laertes à Hamlet, Claudius parie et Gertrude regarde. Gertrude meurt tout d'abord, elle révèle le larcin. L'empoisonnement ainsi la pièce s'achèvera, puis vient le tour de Claudius, dans la foulée c'est Hamlet qui est blessé. Dans un élan de vie (non de mort) il blesse Claudius. Ce dernier meurt, victoire pour Hamlet qui meurt. Troisième chapitre de la vengeance, Hamlet sort vainqueur, définitivement.
Oui c'est concis, c'est léger comme fin. C'est aussi très pesant et lourd, imaginez un instant la scène, la salle du château voit de quatre cadavres couler le sang. Le peuple à la vue de ce spectacle pleure son héros, Ophélia sera compagne de tombeau. Le peuple a perdu son roi, pas Claudius, ni Hamlet père, mais bien Hamlet, le jeune. Fortinbras dit ceci : « Enlevez les corps : un tel spectacle ne sied qu'au champ de bataille », eh bien, la vengeance n'est-elle pas une bataille ? Que les cadavres pourrissent alors. Pour nous Hamlet est encore vivant, mais pour eux il est mort, pour eux vous êtes fous et pour vous vous êtes vous.
J'entends encore ici, des siècles après son écriture, les cris de folie que chacun pousse à la lecture. Shakespeare tu es un génie, car je suis Hamlet et nous le sommes tous. Quatrième chapitre de la vengeance, c'est à nous de gagner.
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