Suite à une catastrophe ayant failli entrainer le monde dans le chaos, une technocratie médicale a pris le pouvoir sur la majeure partie de la planète. La santé de chacun est contrôlée par des puces implantées dans le corps et reliées au réseau WatchMe, qui empêche tous les comportements à risque : impossible de consommer de l’alcool ou de la drogue, voire de manger trop gras. Tuan Kirie, jeune japonaise travaillant pour l’OMS après une adolescence rebelle au cours de laquelle elle a essayé de se tuer avec des amies, échappe plus ou moins en système en effectuant des missions dans les territoires non contrôlés par le WatchMe. Lors d’un retour au Japon, elle assiste à un évènement sans précédent : plus de 4000 personnes se suicident au même instant, apparemment sans concertation. Derrière cette action semble se profiler une lutte de pouvoir entre deux groupes clandestins auxquelles est peut-être liée une de ses connaissances de jeunesse.
Six mois après la renaissance des éditions éclipse sous la forme d’une collection de l’éditeur Panini est sorti au mois de juillet, dans une grande discrétion, ce roman inédit de Project Itoh, pseudonyme du japonais Satoshi Itoh, décédé prématurément à 34 ans en 2009 alors qu’il terminait Harmonie, roman couronné quelque mois plus tard du prix Seiun, l’équivalent japonais du Hugo.
Ce qui frappe en premier le lecteur est la crédibilité du monde d’Harmonie. Cette dystopie médicale, la société « admédistrative », est d’une grande cohérence. Ici, pas de dictateur omnipotent et ses troupes de choc, mais une surveillance de tous les instants, doublée d’une censure totale pour éviter tout contenu violent, y compris en allant jusqu’à l’amnésie historique, qui fait étrangement écho à certaines tentatives actuelles de suppression des risques (comme le principe de précaution) ou au filtrage massif effectuée par certains acteurs de l’Internet. Project Itoh fait preuve d’une grande maitrise de ses personnages : jonglant entre deux époques (l’adolescence et l’âge adulte de Tuan), il leur inculque une vraie personnalité, leur donne un souffle qui porte le roman d’un bout à l’autre sans faiblir. Loin des clichés habituels des dystopies, l'auteur crée un univers original et pourtant terriblement proche, permettant ainsi au lecteur d’effleurer de nombreuses questions éthiques et philosophiques. Harmonie est l’un des meilleurs livres de science-fiction publié en France cette année ; on ne peut que déplorer que sa parution française soit pour l’instant passée à peu près inaperçue et espérons que l'éditeur saura mieux communiquer sur ses prochaines pépites.