Laurent Binet est un jeune agrégé de lettres qui montre un étonnant mépris pour ce qui est, jusqu'à preuve du contraire, son objet d'étude : la littérature. Il reprochait récemment, lors d'une intervention à l'ENS de Lyon, le respect dogmatique du littéraire par les étudiants ("la bande de littéraires, là", je cite) ; remarque étonnante puisque c'est précisément son dogmatisme historique qui marque à la lecture de "HHhH" : opposition binaire et simpliste entre d'un côté la vérité historique, de l'autre la fiction (ou l'imagination, ou l'invention, Laurent Binet se soucie peu de distinguer les termes) littéraire, donc mauvaise. Dès la deuxième page, il affirme sans sourciller : "littérature : alchimie infamante". Nous voilà avertis, le roman ne se veut pas roman, contrairement à ce qu'annonce la première de couverture (merci l'éditeur), mais récit -terme plus neutre- d'une enquête, celle de l'écrivain avec ses doutes, ses recherches historiques, ses tentatives de reconstruction, etc. Idée intéressante, bien que guère innovante, mais qui tourne court chez L. Binet par l'atrophie du détail, la faiblesse de l'ancrage du personnage/narrateur/auteur dans son milieu, la pauvreté de l'approche, le manichéisme ambiant de l'ensemble (les nazis sont des "immondes porcs" à chaque page, Chamberlain est un abruti détestable, seule la résistance tchèque vaut la peine qu'on l'estime, les deux héros sont des gentils courageux, des braves comme on n'en fait plus de nos jours, et autres affirmations un peu connes, excusez-moi). Ajoutez à cela que l'auteur se sent obligé, de façon pédagogique, de nous définir "l'hypotypose" ou "la métaphore", de faire des récapitulations, de souligner ses pauvres effets de manche : roman didactique contre le roman, ou la méta-littérature à l'usage des masses.
Paradoxalement, c'est lorsqu'il délaisse, l'espace des quatre-vingt-dix dernières pages, la mise en abyme du travail d'écriture pour se lancer véritablement dans le récit que Laurent Binet touche au plus juste : plus agréable à lire et moins irritant, quittant sa posture de jeune lettreux qui n'aime pas les lettres et qui parle relâché pour être à la mode, il parvient tout de même à accoucher d'un (petit) roman. Un conseil, donc : sautez les 350 premières pages et ne lisez que la fin, qui sans être formidablement écrite a au moins la qualité d'oser la narration, sans fioritures ou pseudo-réflexivité de la fiction, sans cette lâcheté devenue commune et qui consiste, plutôt qu'à écrire, à faire semblant.