Pour comprendre l'histoire de la psychanalyse, Ellenberger remonte très loin. Faisant appel à l'anthropologie, et à l'histoire, il démontre que les chamans faisaient déjà appel à des notions et à des concepts rappelant l'inconscient freudien. Mais c'est avec Mesmer et son magnétisme qu'apparaissent les premières conceptions de la psychiatrie dynamique (par opposition à la psychiatrie organiste). Mesmer, prétendait soigné les "vapeurs" des aristocrates via un fluide mystérieux. Il voyait le patient comme un objet, manipulable. Là ou le bas blesse, c'est que cette idée d'un patient unanimement réceptif sera reprise par les hypnotiseurs du XIXème siècle (Charcot) alors que les travaux des continuateurs de Mesmer (comme Puységur) montre que certains sont réceptifs au magnétisme, d'autres non. Au final l'histoire de la psychiatrie dynamique se présente comme un oubli généralisé de certaines conceptions, souvent mal vu, jugés pré scientifique. La dernière partie du livre est consacré aux portraits (dans tout les sens du termes puisque les personnages sont même décrits physiquement) de Freud, Jung, Adler, et Janet. La partie sur Freud, sur laquelle circule bien des légendes (des anti comme des pro-psychanalyse), est la plus intéressante : Freud est remis dans le contexte des intellectuels viennois de l'époque, et l'on voit bien comment la psychanalyse est influencé par la littérature du temps, qu'elle influencera en retour.
L'érudition de Ellenberger est particulièrement bien venu : elle lui permet de naviguer entre le contexte sociale, économique, politique et l'histoire de la psychiatrie proprement dite. Il est frappant de voir à quel point des conceptions philosophiques influencent la psychanalyse naissante de Freud (par exemple les idées de Schopenhauer). Par ailleurs, Ellenberger n'a rien d'un des freudiens orthodoxes qui jugent que tout éloignement des mots du grand homme serait une trahison. Il montre bien, via l'exemple du darwinisme, que toute théorie est voué à être adapté, reprise, vulgarisé.
A l'heure ou la psychanalyse est en perte de vitesse, une histoire critique visant au dépassement des légendes, noirs ou dorées, paraît plus urgente que jamais. C'est un peu paradoxale : pourquoi étudier la psychanalyse si elle tend à disparaître de nos horizons ? Je répondrais que c'est précisément car elle s'éloigne des idées communes que le sujet devient objectivable.