Alors que le premier roman d’Edouard Louis fut (semble-t-il) un succès populaire, déclenchant un torrent d’Amour/Haine à grand coup de polémiques et autres reportages télévisés à l’objectivité toute relative, c’est en jeune âme innocente et naïve que je pris la décision de me mettre en opposition avec l’entièreté du genre humain, et de laisser ma relation avec Eddy Bellegueule débuter par la lecture de son second « roman » : Histoire de la Violence.


Depuis longtemps fâché avec la littérature, je ne saurais dire pourquoi ce livre éveilla mon intérêt plus qu’un autre. Mais lorsque, en ma qualité de flâneur de rayons invétéré, je tombai sur cette quatrième de couverture alléchante (traumatisme + philosophie + pathos + Bourdieu), mon sang ne fit qu’un tour. Et armé de mes 18€ (nous y reviendrons) j’achetai ledit livre. Et quelle ne fut pas surprise de découvrir un récit relativement prenant que je bouclai en seulement quelque jours (un record personnel que je ne suis pas mécontent d’étaler à la face du monde).


Et le sentiment général qui me reste en bouche après cette intense lecture est un subtil mélange entre une satisfaction personnelle d’avoir apprécié une lecture coûtant le prix d’un bras, et une légère déception face au mensonge éhonté qu’étale sans honte la quatrième de couverture.


Histoire de la violence est un très bon roman.


La plume d’Edouard Louis est l’une des plus agréables que j’ai rencontré depuis bien longtemps, alliant à merveille le langage intellectuel hérité de son statut de normalien et une très grande fluidité de style. La lecture de son ouvrage est extrêmement plaisante, à tel point que je me contraignais à ralentir le rythme de peur de ne pas suffisamment profiter de tout ce que l’auteur pouvait avoir à m’offrir (d’autant que le livre ne fait que 230 pages…). Le récit s’articulant autour de trois narrations distinctes (la version racontée par la sœur d’Edouard Louis, les commentaires en italique de l’auteur sur les déclarations de celle-ci, et sa propre vision des événements), il aurait été facile de bouder ces changements incessants de points de vue. Mais force est de constater que la fluidité du style se retrouve dans la gestion de l’entrecroisement des différents types de narration. Certes cette habilitée à passer d’un point de vue à l’autre ne relève pas constamment du génie (la transition est parfois trop grossièrement marquée), mais le plaisir de la lecture n’est en rien entaché par ces petites imperfections qui, soyons honnête, relèvent dans le cas présent du pinaillage.


Mais la question de la pertinence/qualité du contenu se doit d’être tranchée. Histoire de la Violence est apostrophé comme étant un roman par son éditeur. Cependant ce statut semble remis en question par son auteur, qui prétend avoir véritablement vécu tous les événements qui s’y déroulent… Non pas que je remette en question la légitimité de ses déclarations, mais le fait est que cette information modifie à terme totalement notre appréciation du livre…


Histoire de la violence n’est pas un roman naturaliste. L’idée n’est pas de raconter une suite chronologique d'événements, mais bien de nous offrir une plongée abyssale dans le ressenti de son protagoniste principal. Autrement dit, le principal intérêt du livre n’est pas tant l’événement en lui-même (la rencontre avec Reda et la terreur qui s'en suivit), mais bien la vision (à la fois intellectuelle et sensorielle) que le personnage (l’auteur) porte sur ce même événement. Et de ce point de vue le livre est extraordinaire. La précision avec laquelle les scènes sont racontées et tout le symbolisme qu’elles peuvent avoir aux yeux du personnage/auteur donnent des frissons à la lecture. De même que l’ambiance dégagée par ces longs monologues, durant lesquels Edouard Louis analyse ses émotions et pensées en les mettant face au déroulement de sa propre histoire, qui relève presque de la métaphysique. Et si tout cela avait pris fin ici, je mettais 9/10 et c’était plié. Excepté que le livre se vend comme une lecture certes personnelle, mais surtout sociologique de ce fameux événement pilier du récit...


Je me souviens avoir assisté à un clash entre journalistes relatif à leur appréciation du roman, au cours duquel celui qui n’avait pas aimé Histoire de la violence reprochait à son auteur une lecture sociologique grossière et erronée des institutions qu’il décrit (police, famille de « classe basse », métiers de la santé…). Et bien permettez-moi de souligner une divergence de point de vue, mais à mon sens Histoire de la Violence est tout sauf un roman sociologique. Sans dire que cette facette est totalement absente du livre, mais les rares passages où il est question de sociologie sont plus centrés autour de jugements hâtifs et objectivement discutables de l’auteur…


Là est tout le paradoxe qui entoure pour moi Histoire de la violence.


Si le livre n’était qu’un simple roman (même autobiographique), il en serait un grand. Mais promettez au lecteur une dimension sociologique importante, et il devient un livre raté bourrés de longueurs auto-masturbatoires (les fameux monologues d’Edouard Louis). La question relative au contenu du livre demeure donc présente : que faire ?


En ce qui me concerne, un 7/10 est une plongée rapide dans un autre livre seront ma réponse… Mais qui sait, peut-être qu’une relecture axée sur l’ambition purement artistique du roman me convaincra de le ré-estimer, et que je conserverai à terme mon ressenti premier éloigné de toute forme de mise en contexte, face à un livre prenant et immersif… Nous verrons bien.

Dex-et-le-cinma
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le 27 mars 2016

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