[...] Il tient la feuille, bien que les plis de la lettre, en quatre, aient tendance à la refermer sur elle-même, comme si la lettre dévoilait à contrecoeur son contenu
Des phrases interminables qui plongent le lecteur en apnée. Des longues et belles descriptions qui nous détaillent les lieux, les parcours de vie et les émotions qui traversent les personnages. S’il ne fallait pas reprendre son souffle, ce roman, de plus de 600 pages, se lirait facilement d’une traite.
Avec Histoires de la nuit, Laurent Mauvignier signe un thriller où la part belle est faite à la psychologie des personnages plutôt qu’à l’action à proprement parler. C’est un thriller au suspense purement littéraire et c’est toujours aussi incroyable, le plaisir que le pouvoir des mots procure…
L’action se situe géographiquement dans un hameau isolé, mais elle a lieu avant tout dans la psyché des personnages qui nous sont présentés en long, en large et en profondeur.
L’intrigue est basée sur l’histoire de la famille Bergogne, composée de Patrice, le père, agriculteur et rustre d’apparence, âgé de 47 ans qui vit avec sa femme, Marion et leur fille Ida. Tous les trois partagent un hameau de 3 maisons avec Christine, une peintre venue de Paris et ayant fuit la capitale et ses vaines mondanités pour s’installer au hameau de « l’Écart des trois filles » il y a plusieurs décennies.
Le jour des 40 ans de Marion, une fête est organisée en son honneur mais la soirée d’anniversaire est très vite interrompue par l’irruption du passé violent de Marion, qui prend la forme de trois hommes mystérieux aux intentions au départ incompréhensibles…
L’humiliation avait été si forte qu’il la ressent comme le fantôme
d’un membre qu’on lui aurait amputé il y a longtemps
Les protagonistes sont d’une incroyable épaisseur et semblent tous avoir des comptes à régler avec la vie et avec les autres et veulent se faire justice. Ils représentent les ruraux, les oubliés, les taiseux, ceux qui ont parfois du mal à se faire à la modernité, ceux dont on ne parle jamais. Et là, au cours de ce récit que l’auteur a choisi de concentrer sur une seule journée, chacune des émotions qui les traversent, chacun des gestes qu’ils exécutent subissent une autopsie. On découvre leurs traumatismes, leurs frustrations, leurs blessures, leurs complexes. Alors que les mots ont du mal à sortir, l’auteur donne corps à leurs maux et les rends palpables en créant une tension permanente.
C’est un livre qui nous prend en otage, créant ainsi un jeu de miroir avec l’histoire, dont la narration s’apparente un peu à une course relais, où chaque personnage se passe le témoin pour donner sa version d’une histoire commune.