Cette lecture a été ma première rencontre avec Toni Morrison. Sa manière en éclipse puis frontale de raconter la guerre, le racisme, la dureté du quotidien forme une écriture du traumatisme, d’une rare puissance.
Comment revient-on d’une telle violence, comment vit-on quand la vie est si misérable et malheureuse ? Qu’est-ce qui nous tient à part peut-être de tenir ceux qu’on aime ? Toni ne nous guide pas vers une voie de résilience. L’issue reste les autres et la dignité qu’on leur rend.
Dans ce dur roman on suit Frank et Cee, frère et sœur issus de l’Amérique pauvre et noire des années 50. Les 2 protagonistes reviennent à leur humanité et à eux à travers un récit de traversée et de voyage. Cette traversée d’un pays glacial et raciste brosse une image effrayante de réalisme de l’Amérique des années 50.
De quoi Frank s’efforce t’il de revenir ? De l’hôpital psychiatrique dans lequel commence le récit, de la guerre de Corée, du meurtre de cette fille, des pulsions pédophiles qu’elle a réveillé. Ce retour à lui-même passe par un retour à sa sœur, Cee et au village de leur enfance.
L’inhumanité dans laquelle il a grandit, qu’il a subit et qu’il a perpétué tend le récit de bribes de confessions, nécessaires pour revenir à lui.
Cee, la cadette, revient d’un monde de violences racistes et sexistes qui la conduit dans les bras d’un mari qui l’abandonne, d’un patron qui l’exploite puis d’un tortionnaire raciste qui la détruit dans ces expérimentations. Elle perd sa capacité à créer la vie mais ressort aseptisée des hommes.
Ou s’efforcent-ils d’aller ?
L’un vers l’autre d’abord. Ce voyage des corps enclenche un retour « home » ou homme, un
retour à leur humanité. Ils ne la recouvrent complètement qu’en donnant enfin une sépulture digne à un homme, victime des jeux cruels du KKK. En lui rendant son humanité, ils reviennent à la leur.
« Ici se dresse un homme »